Changement climatique et politiques intelligentes
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Changement climatique et politiques intelligentes
Selon un c¨¦l¨¨bre proverbe africain, ? Quand la musique change, il en va de m¨ºme de la danse. ? Cet adage illustre bien la situation actuelle du continent face aux opportunit¨¦s qui se pr¨¦sentent ¨¤ lui et aux? d¨¦fis qu¡¯il doit affronter en mati¨¨re de d¨¦veloppement et de? gouvernance? en ce 21¨¨ si¨¨cle.?
Ces derni¨¨res ann¨¦es, les dirigeants nationaux ont ¨¦labor¨¦ de nombreuses nouvelles initiatives de d¨¦veloppement. Parmi elles, le programme? d¡¯action d¡¯Addis-Abeba sur le financement durable, le Programme? de d¨¦veloppement durable ¨¤ l¡¯horizon 2030, l¡¯Accord de Paris sur le climat et le? ? ? paquet? de Nairobi ? propos¨¦ par l¡¯Organisation mondiale du commerce.?
Ces cadres pourraient acc¨¦l¨¦rer le d¨¦veloppement du continent, et m¨ºme r¨¦aliser la promesse des Objectifs de d¨¦veloppement durable (ODD) au cours des 15 prochaines ann¨¦es.?
Pertes de capital naturel
L¡¯Afrique perd actuellement 68 milliards de dollars? par an en raison de la d¨¦gradation de l¡¯environnement, selon Agriculture for Impact, un groupe ind¨¦pendant qui milite pour les petits exploitants agricoles d¡¯Afrique subsaharienne.
En outre, le Programme des Nations Unies pour l¡¯environnement (PNUE) estime que les secteurs environnementaux cl¨¦s tels que la foresterie, la faune, la p¨ºche et l¡¯exploitation mini¨¨re subissent des pertes de plusieurs milliards ¨¤ cause de l¡¯exploitation foresti¨¨re ill¨¦gale, du commerce ill¨¦gal des esp¨¨ces sauvages, de la p¨ºche non comptabilis¨¦e et non r¨¦glement¨¦e, et des pratiques mini¨¨res ill¨¦gales.
En l¡¯absence d¡¯investissements tendant ¨¤? ¨¦liminer les inefficacit¨¦s de la cha?ne de valeur agricole r¨¦sultant de l¡¯exploitation? de terres d¨¦grad¨¦es, l¡¯Afrique perd chaque ann¨¦e entre 4 et 48 milliards de dollars de denr¨¦es? alimentaires en plus des 6,6 millions de tonnes de? c¨¦r¨¦ales qu¡¯elle pourrait r¨¦colter si les ¨¦cosyst¨¨mes n¡¯¨¦taient pas d¨¦grad¨¦s.?
Par cons¨¦quent, les pays d¡¯Afrique d¨¦pensent 35 milliards de dollars par an pour importer? des produits alimentaires, ce qui est ¨¤ peine suffisant, puisque plus de 200 millions d¡¯Africains ne mangent pas ¨¤ leur faim, selon l¡¯Organisation des Nations Unies pour l¡¯alimentation et l¡¯agriculture. Toutefois, avec les politiques gouvernementales appropri¨¦es, l¡¯Afrique pourrait r¨¦cup¨¦rer ces 35 milliards de dollars et ¨ºtre en mesure de financer des projets de d¨¦veloppement et? renforcer la s¨¦curit¨¦ alimentaire.?
Interventions politiques cibl¨¦es?
C¡¯est en promouvant? la durabilit¨¦ environnementale que l¡¯on pourra r¨¦gler le probl¨¨me pos¨¦ par? la pr¨¦carit¨¦ de l¡¯¨¦cosyst¨¨me en Afrique. Il sera pour cela utile d¡¯exploiter durablement le capital naturel de l¡¯Afrique, conseille le PNUE.? ? ?
Lors de la sixi¨¨me Conf¨¦rence minist¨¦rielle africaine sur l¡¯environnement, tenue au Caire, en ?gypte, en avril, les experts environnementaux de l¡¯Afrique ont identifi¨¦ trois principales fa?ons de tirer parti? du capital naturel. La premi¨¨re concerne les politiques, les actions et les partenariats aux niveaux national, r¨¦gional et mondial visant ¨¤ inverser les pertes actuelles dues aux ¨¦cosyst¨¨mes d¨¦grad¨¦s, aux inefficacit¨¦s de la cha?ne de valeur agricole, aux flux financiers illicites et aux infractions li¨¦es aux esp¨¨ces sauvages, ¨¤? l¡¯exploitation foresti¨¨re, ¨¤ la p¨ºche et ¨¤ l¡¯exploitation mini¨¨re.?
En inversant ces pertes, l¡¯Afrique pourrait ¨¦conomiser jusqu¡¯¨¤ 150 milliards de dollars par an. Des secteurs tels que ceux des soins de sant¨¦ et de l¡¯¨¦ducation, n¨¦cessitant des investissements annuels allant jusqu¡¯¨¤ 32 et 26 milliards de dollars respectivement, et les infrastructures, pour lesquelles des investissements de 93 milliards de dollars sont n¨¦cessaires chaque ann¨¦e, pourraient ¨¦ventuellement? y gagner. ?
La deuxi¨¨me fa?on dont l¡¯Afrique peut exploiter durablement son capital naturel consiste ¨¤ affecter, encore une fois aux niveaux national et r¨¦gional, une partie des recettes actuellement tir¨¦es du? capital naturel? ¨¤ la? lib¨¦ration du potentiel des secteurs qui en d¨¦pendent. En agissant de la sorte, le continent atteindrait? les cibles de plusieurs ODD.?
Par exemple, les investissements dans l¡¯agriculture ax¨¦e? sur les ¨¦cosyst¨¨mes et adaptative,? et le recours ¨¤? l¡¯¨¦nergie propre pour les cha?nes de transformation et autres cha?nes commerciales ont le potentiel de? soutenir l¡¯agro-industrialisation durable.?
L¡¯¨¦nergie propre peut stimuler la transformation durable des produits agricoles dans les zones rurales et, si elle a acc¨¨s? ¨¤ un financement abordable et au march¨¦, am¨¦liorer les revenus des agriculteurs, faire progresser? la s¨¦curit¨¦ alimentaire jusqu¡¯¨¤ 128 % et cr¨¦er jusqu¡¯¨¤ 17 millions d¡¯emplois le long de la cha?ne de valeur. ? cela s¡¯ajoute? le renforcement d¡¯un secteur agricole dont la valeur en 2030 pourrait se chiffrer ¨¤ 1 000 milliards de dollars, selon la Banque mondiale.
La Banque mondiale estime qu¡¯une augmentation de 10 % des rendements des cultures en Afrique se traduirait par une r¨¦duction d¡¯environ 7 % de la pauvret¨¦ gr?ce ¨¤ la croissance agricole, qui est au moins deux ¨¤ quatre fois plus efficace pour r¨¦duire la pauvret¨¦ que la croissance dans d¡¯autres secteurs.?
La troisi¨¨me fa?on dont l¡¯Afrique peut tirer parti des opportunit¨¦s li¨¦es au? capital naturel consiste ¨¤ cibler les politiques et les actions afin de permettre un ajout de? valeur ¨¤ ses exportations de capital naturel, au lieu d¡¯exporter des mati¨¨res premi¨¨res. Cette mesure accro?trait les recettes.?
Lib¨¦rer le potentiel agricole?
Les experts continuent de faire l¡¯¨¦loge des ¨¦l¨¦ments cl¨¦s de l¡¯Accord de Paris sur le climat, des ODD et de l¡¯Agenda 2063 de l¡¯UA. Ce qui manque cependant, ce sont? des politiques? qui garantissent? que ces ¨¦l¨¦ments feront partie des cadres de d¨¦veloppement des diff¨¦rents pays? et, surtout, que leur mise en ?uvre sera financ¨¦e.?
En l¡¯absence de ces politiques et de ce financement, il peut s¡¯av¨¦rer difficile de rendre les syst¨¨mes alimentaires, modernes, efficaces et respectueux du climat, ainsi que de parvenir ¨¤? une croissance ¨¦conomique inclusive.?
En ce qui concerne le besoin pressant de financement, il faudra d¨¦battre en profondeur de la mani¨¨re dont il convient de? lutter contre les flux financiers illicites, principalement attribuables au capital naturel de l¡¯Afrique. Selon l¡¯Organisation de coop¨¦ration et de d¨¦veloppement ¨¦conomiques (OCDE), l¡¯aide financi¨¨re consacr¨¦e ¨¤ l¡¯am¨¦lioration de l¡¯administration fiscale pourrait sensiblement augmenter les recettes fiscales des pays africains.?
Le potentiel est ¨¦norme, mais actuellement? 0,07 % ¨¤ peine de l¡¯aide apport¨¦e par? l¡¯OCDE aux pays pauvres sert ¨¤? am¨¦liorer les syst¨¨mes fiscaux. Le renforcement des capacit¨¦s des n¨¦gociateurs africains face aux? entreprises multinationales et l¡¯am¨¦lioration de la surveillance r¨¦glementaire de l¡¯administration fiscale pourraient permettre de lutter contre les flux illicites et de r¨¦cup¨¦rer des fonds pour le d¨¦veloppement durable.?
Les pays africains doivent? accorder une place de choix ¨¤ la mise en ?uvre des recommandations de 2015 du Groupe de haut niveau de l¡¯UA sur les flux financiers illicites dirig¨¦ par l¡¯ancien pr¨¦sident sud-africain Thabo Mbeki. Parmi ces recommandations figurent? la prise de mesures permettant de lutter contre? la criminalit¨¦ organis¨¦e, y compris les crimes environnementaux (environ 33 % des crimes organis¨¦s) et la corruption dans le secteur public,?qui contribue largement? ¨¤ faciliter ces sorties d¡¯argent.
En outre, les d¨¦penses fiscales inutiles, sous forme notamment d¡¯incitations ¨¤ l¡¯exploitation des ressources naturelles, constituent des pertes importantes de revenus, (jusqu¡¯¨¤ 4 % du PIB) et facilitent? la fraude. Jusqu¡¯¨¤ 65 % des subventions p¨¦troli¨¨res en Afrique profitent ¨¤ 40 % des m¨¦nages les plus riches, et alimentent la corruption au sein des? cartels, selon la Banque africaine de d¨¦veloppement.?
Les nombreuses ressources naturelles de l¡¯Afrique peuvent transformer le r¨ºve d¡¯un continent prosp¨¨re en une r¨¦alit¨¦. Les pays doivent agir rapidement? et renforcer la structure de gouvernance aussi bien qu¡¯adopter et mettre en ?uvre des politiques appropri¨¦es. Le d¨¦fi consistera ¨¤ faire en sorte que les actes parlent plus fort que les? mots.? ?
Richard Munang est expert? en mati¨¨re de changement climatique pour l¡¯Afrique et expert en politique de d¨¦veloppement? au PNUE, et? Robert Mgendi est? expert en politique d¡¯adaptation. Les opinions exprim¨¦es dans le? pr¨¦sent document? n¡¯engagent que leurs auteurs et ne refl¨¨tent pas n¨¦cessairement celles du PNUE.