Les radios communautaires: la voix des pauvres
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Les radios communautaires: la voix des pauvres
Même si leurs transmetteurs ne diffusent guère au-delà de quelques kilomètres, les stations de radio privées permettent désormais à des communautés isolées dans toute l’Afrique de prendre la parole. De simples citoyens débattent sur les ondes de questions qui les touchent de près, telles que les relations entre les sexes et la lutte contre le VIH/sida. Ils échangent des techniques agricoles et des idées d’activités rémunératrices ou des moyens d’améliorer l’éducation.
“Quand on oeuvre en faveur du développement c’est parfois comme si on marchait dans le brouillard, explique Mme Denise Gray-Felder, présidente du Consortium de la communication pour le changement social. L’avis de la population locale est un “point de repère” souvent absent. Grâce aux radios privées, de nouvelles possibilités concrètes s’offrent de parvenir à un développement durable sans exclusion.” L’organisation que dirige Mme Gray-Felder est un groupe international à but non lucratif qui aide les collectivités pauvres et marginalisées à améliorer leur lot en ayant recours aux communications.
Des millions d’Africains restent sans moyen d’expression malgré l’abondance de nouveaux moyens d’information. La majorité des médias demeurent sous la tutelle de l’État mais, un vent de démocratie soufflant sur le continent, les pouvoirs publics relâchent peu à peu leur emprise. En 1985, note l’Association mondiale des radiodiffuseurs communautaires (AMARC), on comptait moins de 10 stations de radio indépendantes sur l’ensemble du continent. Aujourd’hui, l’Afrique du Sud a à elle seule plus de 150 stations de radio privées et d’autres pays sont en passe de la rejoindre.
Infrastructures de l’information
L’idée d’accélérer le développement grâce aux médias établis, comme la radio, et aux technologies plus récentes de l’information et des communications a gagné du terrain en Afrique ces dix dernières années. Le plan de développement du continent - le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) – considère les technologies de l’information comme prioritaires. Les pouvoirs publics reconnaissent qu’il est possible, avec Internet et des services de télécommunications et de radiodiffusion de qualité, de favoriser le commerce régional et l’intégration à l’économie mondiale. Et lorsque de simples citoyens communiquent entre eux, la démocratie et la bonne gouvernance progressent.
Toutefois, mettre en place une infrastructure de communications est très coûteux, surtout dans les zones rurales où les distances sont considérables et la population éparpillée. La plupart des régions situées en marge des grandes villes ne disposent pas de l’électricité nécessaire pour faire fonctionner des téléphones terrestres ou des ordinateurs. En revanche, les radios sont peu coûteuses et peuvent fonctionner sur piles ou à l’énergie solaire. La radio est donc de loin l’organe d’information le plus répandu en Afrique. Une personne sur cinq a un poste de radio (une sur 100 a un téléphone).
Par ailleurs, explique Mme Grace Githaiga, Directrice exécutive de EcoNews Africa “les programmes de radio sont peu coûteux à créer et à écouter”. Ceci est particulièrement important dans les pays où les taux d’analphabétisme sont élevés et où la population rurale parle essentiellement des langues vernaculaires. “Il n’est pas nécessaire que ceux qui créent les programmes ou ceux qui les écoutent sachent lire ou écrire”, ajoute Mme Githaiga.
Malgré les avantages que présente la radio, Mme Sylvia Biraahwa Nakabuku de l’Association ougandaise des femmes des médias, note certaines limites. Après avoir étudié le rôle de la radio en matière de promotion de meilleures techniques agricoles, elle a conclu qu’il y a des limites à ce que les gens peuvent apprendre sans démonstration concrète. Il vaut donc mieux faire appel à la radio pour compléter l’action des agents de vulgarisation agricole que pour la remplacer.
‘La radio a changé nos vies’
Selon l’AMARC, il faudrait que les médias communautaires aient des préoccupations sociales et ne soient pas uniquement motivés par le profit. Ils devraient faire participer la population locale. Bien que les stations de radio locales n’aient pas toutes les mêmes effets, elles offrent souvent à des villages isolés – qui sont nombreux à ne pas capter les programmes de radio publique – les moyens de s’instruire, de s’exprimer librement et de communiquer en même temps qu’elles font connaître l’histoire, la musique et les traditions orales de la population locale.
“La radio a changé nos vies. Avec elle, nous avons le sentiment de faire partie du Mali”, explique un auditeur de Kolondieba, collectivité de cultivateurs de coton de ce pays d’Afrique de l’Ouest. “Avant, nous écoutions les radios de Côte d’Ivoire. À présent nous pouvons nous tenir au courant de ce qui se passe ici. Nous obtenons des informations sur l’industrie cotonnière. Nous pouvons faire passer des annonces à la radio pour informer les membres de notre famille des faits importants. Nous pouvons écouter la musique de notre village.” La station, Radio Benso, est au service de la communauté depuis 1999 et relève du projet Relance de la radio rurale dans la zone Mali Sud - initiative qui a permis à quatre stations, dont chacune a près d’un demi-million d’auditeurs dans un rayon de 100 kilomètres, de voir le jour.
Le Mali a l’un des réseaux de radios communautaires les plus puissants d’Afrique. Après la chute du dernier régime à parti unique en 1991 et la fin d’un monopole d’Etat absolu sur les moyens de communications, les médias d’information ont prospéré. Aujourd’hui, le Mali a plus de 110 stations de radio privées dont 86 sont des radios communautaires, installées dans les campagnes pour la plupart.
de radio indépendantes permettent aux simples citoyens de faire entendre leur voix.
En Zambie, un projet de radio communautaire que finance l’Agency for International Development des Etats-Unis (USAID) aide les communautés locales à adopter des pratiques plus sûres en matière de santé de la reproduction. Cette initiative touche jusqu’à 600 000 personnes grâce à un programme de radio très apprécié du public qui a pour nom “Kumuzi Kwathu” (dans notre village).
“Les accoucheuses traditionnelles prennent davantage de précautions parce qu’elles ont entendu à la radio que l’on peut prévenir les infections au moment de l’accouchement grâce à certaines pratiques”, indique Mme Jessie Tembo, membre d’un groupe de villageoises qui ont reçu une formation d’accoucheuses. “Les gens sont très désireux de s’informer sur les méthodes les plus recommandables grâce aux autres villages auxquels la radio nous relie — il n’est plus question de se précipiter à l’hôpital au milieu de la nuit. Nous savons accoucher un bébé en toute sécurité.”
Des individus plus autonomes
Il y a également des changements positifs au niveau personnel. Les projets de radio donnent aux membres de la communauté la possibilité d’acquérir de nouvelles compétences et d’améliorer ainsi leurs perspectives d’emploi dans les stations commerciales. Dans le Sud du Mali, des techniciens locaux, des animateurs, des producteurs et des membres du conseil d’administration ont suivi une formation organisée par un centre de radio rural au Burkina Faso. Les participants ont appris à se servir du matériel, à produire des programmes et à diriger une station. Certaines organisations internationales telles que l’Agence de la Francophonie et l’Institut Panos ont également dirigé des ateliers à l’intention des médias communautaires.
Mme Marie Ekaney, au Niger, était une mère de famille parmi d’autres du village d’Ingall. Mais le fait de travailler pour une station de radio fonctionnant à l’énergie solaire a donné à cette mère de famille nombreuse une certaine assurance et a renforcé sa position sociale. À présent, quatre jours par semaine, Mme Ekaney interroge des femmes de la région sur leurs préoccupations de santé ou de famille et persuade les gens d’échanger des informations sur les activités génératrices de revenus telles que le tissage de nattes traditionnelles. La communauté la tient désormais en grande estime.
“Je voulais contribuer au développement de mon village”, a expliqué Mme Ekaney à UN Works – site Web qui présente des personnes ayant bénéficié d’initiatives de l’Organisation dans le monde. “Ma sœur et ma belle-mère s’occupent de mes enfants pendant que je prépare mes programmes et que je les anime.”
Insuffisance du financement
Selon l’AMARC, les médias communautaires ne devraient pas faire appel à la participation d’étrangers oeuvrant pour la communauté, mais plutôt la participation directe des membres de la communauté. Il faut donc qu’ils soient maîtres des moyens de communication. Mais en Afrique, il y a encore peu de stations de radios communautaires qui s’autofinancent. Lorsque les fonds accordés par les donateurs cessent, le projet se termine.
Il y a toutefois des exceptions, en particulier dans les zones urbaines. La Radio communautaire de Soweto (Afrique du Sud) a été créée grâce au financement de la Fondation d’assistance à la communication, organisation hollandaise qui appuie la diversité des médias. Après la période de financement de deux ans, la station est devenue autonome grâce aux revenus des annonces publicitaires.
À travers le continent, la plupart des radios communautaires sont financées essentiellement par des pays donateurs, des organisations confessionnelles, des organismes internationaux d’aide au développement et quelques annonceurs. Les stations ont aussi recours aux services de bénévoles; c’est ainsi qu’elles doivent sans cesse s’efforcer de former de nouveaux animateurs alors que les anciens partent travailler ailleurs. Le président de l’AMARC, Steve Buckley, note que les médias communautaires bénéficient souvent de subventions publiques en Europe et en Amérique du Nord mais pas en Afrique.
Bien que les financements externes puissent imposer des restrictions, ils n’obligent pas toujours ses bénéficiaires à céder au bailleur de fonds le pouvoir de prendre toutes les décisions essentielles. Les Pays-Bas et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture ont offert un financement à des stations du Sud du Mali, mais la population locale a été mêlée à toutes les phases du projet, y compris à sa conception initiale. Les villageois ont eux-mêmes construit les bâtiments qui abritent les stations. Les stations sont gérées par un conseil d’administration et par un comité élu par la population locale. Le personnel est recruté sur place.
Le financement étant restreint, les petites radios communautaires opèrent généralement avec un matériel très réduit. Elles sont également isolées du fait de la pénurie de transports et de téléphones. Les téléphones cellulaires facilitent quelque peu les choses mais coûtent cher. Et l’accès à Internet n’est encore qu’un rêve pour un grand nombre de personnes vivant dans les campagnes.
Malgré ces contraintes, grâce à ces stations, la voix lointaine des dirigeants que l’on entendait autrefois à la radio cède progressivement le pas à un pluralisme qui permet enfin aux populations pauvres et marginalisées de se faire entendre.