Le Dr Ibrahim Mayaki est le Directeur g茅n茅ral de l'Agence de d茅veloppement de l'Union africaine - Nouveau partenariat pour le d茅veloppement de l'Afrique (AUDA-NEPAD). Il s'est entretenu avec Kingsley Ighobor d'Afrique Renouveau sur le partenariat Union africaine-Nations Unies, la r茅ponse 脿 COVID-19, le d茅veloppement de l'Afrique et d'autres questions.
Afrique Renouveau : Quelle est votre 茅valuation des relations entre l'ONU et l'UA ?
Dr. Mayaki : Les relations entre l'ONU et l'UA sont non seulement critiques mais aussi une n茅cessit茅 aujourd'hui en Afrique. Heureusement, l'ONU a eu une interaction 茅troite avec l'UA et, dans certains cas, a mis en place des missions conjointes sur le continent. Par exemple, j'ai fait partie d'un groupe choisi par Madame Zuma (Nkosazana Dlamini-Zuma, ancien pr茅sident de la Commission de l'UA) pour rejoindre une d茅l茅gation de l'ancien Secr茅taire g茅n茅ral Ban Ki-moon dans la r茅gion du Sahel. Cette collaboration a permis d'茅tudier la mani猫re d'aborder les probl猫mes du Sahel. Le Secr茅taire g茅n茅ral Ant贸nio Guterres est all茅 plus loin, avec la signature par les Nations Unies d'un protocole d'accord avec l'UA sur l'op茅rationnalisation de projets communs.
脌 l'AUDA-NEPAD, nous interagissons activement avec le syst猫me des Nations Unies, en particulier avec le bureau du Conseiller sp茅cial pour l'Afrique, qui est dirig茅 par Cristina Duarte, une ancienne ministre des Finances du Cap-Vert.
Comment envisagez-vous le travail des Nations Unies en Afrique 脿 l'avenir ?
Comme vous le savez, le multilat茅ralisme est un produit de la motivation des 脡tats membres 脿 mieux coop茅rer et 脿 d茅l茅guer une certaine forme de capacit茅 au syst猫me des Nations unies pour r茅soudre des probl猫mes tels que la faim, les conflits, les abus des droits des femmes, etc. Cependant, sur le plan g茅opolitique, le multilat茅ralisme est critiqu茅 - le multilat茅ralisme n'est plus aussi fort qu'il l'茅tait, ce qui a manifestement limit茅 l'efficacit茅 et l'efficience des Nations Unies. Une cons茅quence importante est le co没t financier des op茅rations de l'ONU. Si nous examinons les contraintes et les d茅fis auxquels le syst猫me des Nations unies est confront茅, nous devons 锚tre conscients que nous utilisons les ressources disponibles de la meilleure mani猫re possible. Le fait que le Programme alimentaire mondial ait re莽u le Prix nobel de la paix en est une illustration.
Au niveau mondial, nous observons la r茅silience du syst猫me international, qui permettra l'茅mergence d'un nouveau type de multilat茅ralisme. De nombreux pays croient fermement au renforcement du multilat茅ralisme. L'Union africaine, les pays d'Am茅rique latine, d'Asie - la Chine et le Japon - sont de fervents partisans du multilat茅ralisme. L'Europe l'est 茅galement. Dans ce contexte, je pr茅vois une ONU qui sera renouvel茅e dans sa r茅flexion et qui pourra fonctionner m锚me lorsque ses moyens financiers seront limit茅s.
Quelle est la place de l'Afrique dans l'espace du multilat茅ralisme ?
L'Afrique est extr锚mement importante. Les experts en relations internationales vous diront que l'Afrique joue un r么le essentiel avec ses 54 脡tats membres qui sont repr茅sent茅s 脿 l'ONU - en termes de nombre, mais aussi en termes de r茅flexion. Nous ne devons jamais oublier que lors des n茅gociations des ODD (Objectifs de d茅veloppement durable), l'Afrique a apport茅 une contribution importante, en particulier l'UA. Le groupe africain a utilis茅 l'Agenda 2063 pour signaler les int茅r锚ts de l'Afrique afin de s'assurer que les ODD refl猫tent les objectifs et la logique de l'Agenda 2063.
En outre, les experts africains qui dirigent plusieurs agences internationales sont de plus en plus nombreux. On peut voir Tedros Adhanom Ghebreyesus 脿 l'OMS (Organisation mondiale de la sant茅) ; on esp猫re que l'Organisation mondiale du commerce (OMC) sera dirig茅e par Ngozi Okonjo Iweala, ancien ministre des Finances du Nigeria ; Gilbert Fossoun Houngbo, ancien Premier ministre du Togo, est le pr茅sident du FIDA (Fonds international de d茅veloppement agricole). Plus les Africains sont pr茅sents 脿 ces postes, plus la voix du continent est entendue au sein du syst猫me international.
Quelle serait l'importance d'une femme africaine 脿 la t锚te de l'OMC, dans le cadre de la Zone de libre-茅change du continent africain (ZLECA) ?
Il y a deux domaines dans lesquels une femme africaine devrait diriger l'OMC, dans le contexte de la zone de libre-茅change continentale africaine. Le premier est consid茅r茅 sous l'angle du genre, o霉 nous devons 茅galiser les chances et rem茅dier 脿 la sous-repr茅sentation des femmes dans les r么les de direction des institutions 茅mergentes.
En outre, il s'agit de reconna卯tre l'expertise africaine pour mener le programme continental de libre-茅change, par la reconnaissance d'une femme africaine tr猫s qualifi茅e. Elle (Okonjo Iweala) 茅tait num茅ro deux 脿 la Banque mondiale, la premi猫re femme ministre des Finances du Nigeria et elle joue actuellement un r么le essentiel au sein de Gavi (l'Alliance pour les vaccins), o霉 elle travaille sur les vaccins. La mise en place de la ZLECA signifie que les Africains prennent le commerce au s茅rieux et qu'ils auraient besoin de toutes les comp茅tences sur le terrain pour sa mise en 艙uvre efficace.
Vous avez 茅tabli le plan d'action de r茅ponse AUDA-NEPAD COVID-19. Comment cela se passe-t-il ?
On peut dire que la pand茅mie COVID-19 est un nouveau terrain d'action pour les institutions du monde entier. Notre premi猫re strat茅gie a 茅t茅 de r茅agir imm茅diatement, en termes d'茅laboration d'une r茅ponse en adaptant nos plans de travail et nos activit茅s 脿 la pand茅mie. Ainsi, tout ce que nous faisons actuellement dans les domaines de la sant茅, de l'agriculture, des infrastructures, etc. est int茅gr茅 脿 la r茅ponse 脿 la COVID-19. Comme nous ne sommes pas encore sortis de l'auberge, l'institution ne s'est pas concentr茅e sur une "r茅ponse post-COVID-19" mais soutient plut么t les efforts d'att茅nuation et de contr么le.
Les efforts de contr么le ont exig茅 que notre travail s'aligne, dans une certaine mesure, sur les Centres africains de contr么le et de pr茅vention des maladies (Africa CDC). Nous n'avons pas invent茅 un plan d'intervention dans le vide, mais nous avons plut么t interagi avec le CDC Afrique, nous avons mis en 茅vidence notre mandat et notre capacit茅 脿 mettre en 艙uvre diff茅rents programmes sur la sant茅, l'agriculture, etc. et nous avons ensuite ins茅r茅 nos activit茅s dans la feuille de route du CDC Afrique. et nous avons ensuite int茅gr茅 nos activit茅s dans la feuille de route du CDC Afrique. Cela garantit que notre plan d'intervention est totalement coh茅rent avec le plan d'intervention de l'UA bas茅 sur la strat茅gie du CDC Afrique.
Nos efforts ont port茅 leurs fruits jusqu'脿 pr茅sent. Par rapport aux pr茅visions initiales des experts, l'Afrique a assez bien g茅r茅 la pand茅mie, si l'on consid猫re les chiffres actuels au niveau mondial en termes de d茅c猫s. Une ville comme New York compte 脿 peu pr猫s le m锚me nombre de d茅c猫s qu'en Afrique, avec une population d'environ 1,3 milliard d'habitants.
En termes de r茅ponse politique, nous avons rassembl茅 les 茅l茅ments essentiels pour aider 脿 stopper la propagation du virus. Mais nous devons continuer ; nous ne devons pas rel芒cher nos efforts.
Quelle a 茅t茅 la gravit茅 des effets socio-茅conomiques de la pand茅mie pour l'Afrique ?
En r茅ponse 脿 la pand茅mie, les mesures de suppression et d'att茅nuation que les gouvernements ont d没 adopter ont eu des effets vari茅s sur les services de sant茅, les 茅conomies formelles et informelles et les structures sociales. Les cons茅quences de ces impacts ont 茅t茅 vari茅es en fonction du degr茅 d'extr茅misme des mesures prises par les gouvernements africains, des niveaux d'exposition 脿 la maladie ainsi que des forces des 茅conomies avant la pand茅mie.
Il est 茅vident que nous ne pouvons pas renoncer 脿 une strat茅gie socio-茅conomique pour une strat茅gie de sant茅, dans la lutte contre la pand茅mie. L'approche intelligente est un m茅lange des deux strat茅gies. Vous devez disposer des outils pour lutter contre le virus et des outils pour lutter contre ses cons茅quences socio-茅conomiques. Comment les pays africains ont-ils m茅lang茅 les deux strat茅gies ? De nombreux pays ont mis en place des filets de s茅curit茅.
Pour lutter contre le ch么mage r茅sultant des mesures visant 脿 stopper la propagation d'un virus, les micro petites et moyennes entreprises (MPME) sont consid茅r茅es comme un outil de relance 茅conomique viable, qui emploie actuellement plus de 80 % des Africains.
脌 l'AUDA-NEPAD, nous avons con莽u un programme que nous appelons 100 000 PME pour soutenir davantage ce secteur. Nous avons certainement besoin de millions de MPME, mais en commen莽ant avec 100 000, nous avons voulu tester notre capacit茅 脿 les soutenir, en partenariat avec Ecobank et d'autres banques africaines.
Notre intervention consiste 脿 aider ces MPME 脿 faire face 脿 la situation gr芒ce 脿 l'application d'outils num茅riques pour mieux comprendre la situation et adopter un comportement manag茅rial qui facilite l'acc猫s au financement et aux march茅s. Ce programme peut ensuite 锚tre reproduit par les gouvernements au niveau national.
Vous 锚tes 脿 la t锚te de l'AUDA-NEPAD depuis plus d'une d茅cennie. Comment 茅valuez-vous les progr猫s r茅alis茅s par l'Afrique en termes de d茅veloppement ?
Pendant mon mandat 脿 l'AUDA-NEPAD, l'Afrique a admirablement doubl茅 la taille de son 茅conomie - au cours des 15 derni猫res ann茅es. Sur le plan politique, ce qui me r茅conforte, c'est que de nombreuses d茅cisions ont 茅t茅 prises ces derni猫res ann茅es, surtout depuis 2016, au niveau de l'UA, pour rendre la Commission de l'UA plus efficace, en vue de l'茅laboration et de la mise en 艙uvre de politiques au niveau du continent.
Nous avons 茅galement adopt茅 des cadres critiques, dont l'un est l'AfCFTA, pour soutenir le commerce continental. Malheureusement, si nous avions mis en 艙uvre davantage de cadres continentaux, disons il y a dix ans, nous aurions limit茅 les cons茅quences sociales et 茅conomiques de la pand茅mie, car l'impact de la perturbation des cha卯nes de valeur mondiales aurait 茅t茅 moins grave.
脌 l'AUDA-NEPAD, nous avons fait de grands progr猫s. L'AUDA-NEPAD est la seule agence de d茅veloppement au niveau continental dans le monde. Je suis fermement convaincu que dans les 10 脿 15 prochaines ann茅es, l'AUDA-NEPAD aura un champ d'activit茅 assez semblable 脿 celui de la Banque africaine de d茅veloppement, et qu'elle sera une agence africaine 脿 part enti猫re.
Quels sont les d茅fis 脿 relever pendant cette p茅riode ? Par exemple, de nombreux pays d'Afrique sont toujours en conflit.
Vous avez raison. Je voudrais cependant mentionner que moins de 7 % des Africains vivent dans des r茅gions o霉 il y a des conflits, ce qui signifie que plus de 90 % vivent dans des r茅gions o霉 r猫gne la paix, bien que cela ne r茅duise pas la gravit茅 avec laquelle nous prenons les conflits. Vous pouvez ajouter le d茅fi de l'ins茅curit茅 alimentaire. Nous avons l'invasion de criquets en Afrique de l'Est. Il y a les cons茅quences du changement climatique. Nous avons les inondations, qui ont un impact sur les terres. La d茅forestation est 茅galement un d茅fi pour le continent.
De quelles r茅formes l'Afrique a-t-elle besoin pour aller de l'avant ?
Les r茅formes indispensables sur le continent doivent 锚tre guid茅es par deux grands courants. Le premier est une gouvernance plus ouverte aux communaut茅s locales, 脿 la soci茅t茅 civile et au secteur priv茅. Et par secteur priv茅, je n'entends pas les grandes multinationales. Je parle des MPME. Un syst猫me de gouvernance ouvert 脿 ces acteurs permettra de d茅fendre les int茅r锚ts des Africains.
Le deuxi猫me type de r茅forme consiste 脿 avoir des dirigeants qui pensent au niveau r茅gional parce que les solutions nationales ne sont pas des solutions optimales. Nous avons besoin de dirigeants qui renforcent la cr茅ation de cha卯nes de valeur r茅gionales, de dirigeants r茅ceptifs 脿 la libre circulation des personnes et des biens 脿 travers les fronti猫res, et de dirigeants conscients que l'industrialisation est le catalyseur du d茅veloppement.
La plupart des dirigeants africains d'aujourd'hui quitteront le pouvoir dans les dix prochaines ann茅es. Nous devons passer 脿 un leadership capable de s'adapter aux besoins et aux contraintes du continent.
Le monde entre dans des p茅riodes critiques, au-del脿 de cette pand茅mie. Nous assisterons 脿 l'exacerbation de la concurrence pour les ressources. Permettez-moi de vous donner un exemple : L'Afrique est la r茅gion qui poss猫de la plus grande proportion de terres arables au monde. Dans les 30 prochaines ann茅es, selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture), nous pourrions 锚tre confront茅s 脿 une crise alimentaire mondiale. L'Afrique a la capacit茅 de se nourrir et de nourrir le reste du monde, mais nous ne voulons pas que l'Afrique soit exploit茅e comme elle l'茅tait pendant le colonialisme, 脿 cause de conditions qui ne sont pas favorables aux Africains. 听C'est pourquoi nous aurons besoin d'un leadership fort.
Comment l'Afrique pourrait-elle conserver son capital intellectuel ?
Kwame Nkrumah disait qu'il ne s'inqui茅tait pas que les Ghan茅ens aillent au Royaume-Uni, aux 脡tats-Unis, en Europe parce qu'ils ram猫neront des connaissances scientifiques et des capacit茅s d'entreprise. Je ne m'inqui猫te pas de la fuite des cerveaux. Pourquoi ? Parce que si je regarde mon propre pays, le Niger, et d'autres comme le Nigeria, le Kenya et le Ghana, les Africains qui ont acquis des comp茅tences 脿 l'ext茅rieur reviennent de plus en plus. Et ils contribuent 脿 fa莽onner les institutions 脿 leur retour. Ils apportent une autre voix, une autre vision et une autre 茅nergie. Ainsi, nous avons peut-锚tre un million d'Africains qui partent, mais environ 700 000 reviendront, ce qui repr茅sente une 茅norme valeur ajout茅e.
Pour conserver leur expertise 脿 leur retour, nous avons besoin d'environnements favorables o霉 les comp茅tences acquises peuvent 锚tre mieux mises en 艙uvre. Nous avons besoin de politiques de soutien et d'environnements r茅glementaires adaptatifs, ainsi que d'infrastructures de soutien, qui encouragent un plus grand nombre de ces experts 脿 utiliser leurs comp茅tences sur le continent.
Mais dans le secteur de la sant茅, par exemple, les m茅decins africains se rendent 脿 l'茅tranger, laissant les h么pitaux sans personnel ad茅quat.
Je suis d'accord avec cela. Aujourd'hui, les services d'urgence des h么pitaux belges sont principalement g茅r茅s par des Camerounais. Et vous avez beaucoup d'infirmi猫res du Botswana et du Malawi dans les h么pitaux britanniques. Mais nous devrions en tirer une le莽on tactique plut么t que strat茅gique. La le莽on tactique est que nous devrions les payer davantage. Les m茅decins malawiens qui vont au Royaume-Uni sont pay茅s peut-锚tre dix fois plus que ce qu'ils gagnaient au Malawi. La meilleure fa莽on de retenir le capital humain est de cr茅er les conditions qui permettent aux professionnels form茅s de rester et, comme on l'a d茅j脿 dit, il faut pour cela des environnements favorables. Il s'agit donc d'une r茅ponse tactique. Mais strat茅giquement, je ne suis pas inquiet. Le professeur Calestous Juma, par exemple, a quitt茅 le Kenya et est all茅 enseigner 脿 Harvard, mais ce qu'il a rapport茅 au continent est 茅norme.
Quel message d'espoir donneriez-vous aux Africains pendant cette p茅riode difficile ?
Pour fa莽onner notre propre destin, nous devrions cesser d'appliquer des mesures et des approches g茅n茅rales qui sont d茅finies par d'autres sans faire r茅f茅rence au contexte africain. L'ONU peut 锚tre un partenaire, la Banque mondiale peut 锚tre un partenaire, le FMI peut 锚tre un partenaire, mais nous devrions avoir nos propres strat茅gies et les mettre en 艙uvre. Aujourd'hui, en termes de leadership fort, nous disposons d'une masse critique qui peut fa莽onner le destin de l'Afrique en fonction de ses int茅r锚ts. Personne ne d茅veloppera l'Afrique comme les Africains. C'est 脿 nous qu'il revient de concevoir nos strat茅gies et de fa莽onner notre destin.
