L¡¯Afrique se soigne en Inde
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L¡¯Afrique se soigne en Inde
Tourment¨¦e? par une vive douleur au dos, Abidemi Ogbonna, de Lagos au Nig¨¦ria, d¨¦cide il y a trois ans de consulter dans un h?pital voisin du nom d¡¯Apollo. Loin de se douter de la gravit¨¦ du probl¨¨me, c¡¯est abasourdie qu¡¯elle apprend du m¨¦decin qu¡¯elle n¨¦cessite d¡¯urgence une greffe de rein, op¨¦ration? qui ne peut ¨ºtre pratiqu¨¦e sur place. Prendre un avion pour l¡¯Inde est alors sa meilleure chance de gu¨¦rison. La famille de Mme Ogbonna, une famille de la classe moyenne, peut supporter les co?ts, et fait donc imm¨¦diatement une demande de visa.?
L¡¯h?pital Apollo, au Nig¨¦ria, programme l¡¯op¨¦ration avec son homologue indien, aide ¨¤ l¡¯obtention du visa, puis r¨¦serve le vol pour l¡¯Inde et l¡¯h¨¦bergement de Mme Ogbonna. Tout ce qu¡¯il lui reste ¨¤ faire, c¡¯est payer la facture. Une fois la facture acquitt¨¦e, elle embarque sur le premier vol, accompagn¨¦e de sa m¨¨re, et fait le long voyage qui doit lui? sauver la? vie.?
L¡¯histoire de Mme Ogbonna ressemble ¨¤ celle de centaines d¡¯Africains qui voyagent ¨¤ l'¨¦tranger? pour se faire soigner. ?
L¡¯Inde attire de plus en plus d¡¯Africains recherchant un traitement m¨¦dical ¨¤ l¡¯¨¦tranger. L¡¯¨¦quipement de pointe y est plus abordable et les m¨¦decins hautement qualifi¨¦s. Mme Ogbonna aurait aussi pu opter pour les ?tats-Unis ou le Royaume-Uni ; toutefois, les soins y sont extr¨ºmement on¨¦reux et le visa d¡¯entr¨¦e terriblement difficile ¨¤ obtenir, contrairement ¨¤ l¡¯Inde o¨´ le visa est d¨¦livr¨¦ en une semaine et o¨´ les traitements sont relativement bon march¨¦.
Le rapport 2015 de l¡¯Alliance mondiale pour les personnels de sant¨¦, qui pr¨¦conise des solutions pour les pays d¨¦pourvus de syst¨¨mes de soins ad¨¦quats, indique que l¡¯Afrique subsaharienne souffre d¡¯une grave p¨¦nurie de professionnels de la sant¨¦ et ne dispose pas d¡¯une couverture sanitaire ad¨¦quate.?? ?
Fait dramatique pour un continent qui supporte une lourde charge de morbidit¨¦ et qui enregistre les? taux les plus ¨¦lev¨¦s au monde de maladies transmissibles, notamment le paludisme, la tuberculose et le VIH/sida. Selon la revue m¨¦dicale BMJ, ? l¡¯Afrique supporte 24 % de la charge mondiale de morbidit¨¦, mais n¡¯a acc¨¨s qu¡¯¨¤ 2 % des m¨¦decins mondiaux et repr¨¦sente moins de 1 % des d¨¦penses mondiales en sant¨¦. ?
Les syst¨¨mes de soins de nombreux pays africains sont sous-financ¨¦s. Par exemple, le Nig¨¦ria, l¡¯un des pays africains les plus riches, ne consacre aux soins de sant¨¦ que 4,6 % de son revenu national de 594,257 milliards de dollars (avant la r¨¦cente d¨¦pr¨¦ciation de la monnaie).
Selon le Haut-commissaire indien au Nig¨¦ria, Ajjampur Ghanshyam, quelque 40 000 Nig¨¦rians se sont rendus en Inde en 2015, dont? la moiti¨¦ pour des raisons m¨¦dicales : greffe, arthroplastie, chirurgie dentaire, etc.?
Mais pourquoi les Africains vont-ils se faire soigner en Inde ? ?
Pourquoi l¡¯Inde ?
Depuis les ann¨¦es 1990, l¡¯Inde s¡¯affiche comme le leader mondial du ? tourisme m¨¦dical ?, qui consiste ¨¤? voyager dans un pays autre que celui o¨´ l¡¯on r¨¦side afin de s¡¯y faire soigner. ?
L¡¯Inde dispose de m¨¦decins hautement qualifi¨¦s et d¡¯un ¨¦quipement de pointe. En outre, les traitements sont approuv¨¦s par l¡¯Organisation mondiale de la sant¨¦ (OMS) et la Food and Drug Administration des ?tats-Unis, et sont bien moins chers qu¡¯aux ?tats-Unis et au Royaume-Uni.
Par exemple, une greffe r¨¦nale en Inde co?te environ 13 000 dollars, contre jusqu¡¯¨¤ 300 000 dollars aux ?tats-Unis.
? Une greffe r¨¦nale avec donneur apparent¨¦ co?te entre 13 000 et 16 000 dollars ?,?d¨¦clare? le Dr Dheeraj Bojwani, directeur de Forerunners Healthcare Consultants, l¡¯un des principaux prestataires m¨¦dicaux indiens, qui est associ¨¦ aux meilleurs h?pitaux et m¨¦decins du pays.
Le Dr Bojwani a indiqu¨¦ par courriel ¨¤ Afrique Renouveau que le forfait greffe r¨¦nale de 13 000 dollars inclut les examens m¨¦dicaux pr¨¦op¨¦ratoires, les consultations, le suivi, les frais chirurgicaux, la r¨¦mun¨¦ration du chirurgien et de l¡¯anesth¨¦siste, ainsi que les m¨¦dicaments.
Il comprend ¨¦galement l¡¯accueil ¨¤ l¡¯a¨¦roport et le transport, le s¨¦jour en h?pital (dans une chambre de luxe climatis¨¦e avec t¨¦l¨¦vision, c?ble et t¨¦l¨¦phone) et les repas du patient et d¡¯un accompagnateur.
De nombreux patients africains pr¨¦f¨¨rent l¡¯h?pital Apollo, dont le si¨¨ge se trouve ¨¤ Chennai dans l¡¯?tat indien du Tamil Nadu. Avec plus de 60 ¨¦tablissements aux quatre coins de l¡¯Inde, il poss¨¨de son propre r¨¦gime d¡¯assurance maladie et a ¨¦tabli des partenariats avec 10 compagnies d¡¯assurance internationales qui aident ¨¤ couvrir les frais m¨¦dicaux des patients.?
En ce qui concerne le co?t des m¨¦dicaments, l¡¯Inde fabrique des produits pharmaceutiques g¨¦n¨¦riques pour une fraction du prix en Occident. C'est ainsi que Cipla, une multinationale pharmaceutique indienne, a fait tomber? le prix des antir¨¦troviraux utilis¨¦s dans le traitement contre le? VIH/sida ¨¤ moins d¡¯un dollar par jour, pour un total annuel de 365 dollars par an, contre 12 000 dollars . ?
En outre, le gouvernement indien accorde des incitations pour attirer les patients ¨¦trangers.? Ces incitations capitalisent sur l¡¯attrait ? exotique ? du pays. Il s¡¯agit notamment de forfaits touristiques permettant aux patients d¡¯emmener un compagnon pour un co?t r¨¦duit afin de visiter des monuments tels que le Taj Mahal. ?
Pour les Africains anglophones comme Mme Ogbonna, la langue n¡¯est pas un obstacle, l¡¯anglais ¨¦tant la langue v¨¦hiculaire de l¡¯Inde. Et pour ceux qui recherchent d¡¯autres formes de traitement que la chirurgie, l¡¯Inde offre des traitements alternatifs tels que l¡¯Ayurveda, une th¨¦rapie ¨¤ base de plantes m¨¦dicinales, d¡¯exercices de respiration, de changements de r¨¦gime alimentaire, de m¨¦ditation et d¡¯¨¦tirements.
Suivi et viabilit¨¦?
En convalescence, Mme Ogbonna vient de rentrer ¨¤ Lagos, d¡¯o¨´ elle s¡¯est entretenue par t¨¦l¨¦phone avec Afrique Renouveau. Les m¨¦decins indiens lui ont conseill¨¦ de se rendre ¨¤ l¡¯h?pital Apollo au Nig¨¦ria pour un suivi. Elle craint cependant qu¡¯en raison du manque d¡¯¨¦quipement, son m¨¦decin ¨¤ Lagos ne soit pas en mesure d¡¯assurer tous les soins postop¨¦ratoires qu¡¯elle d¨¦sire.
Les greff¨¦s r¨¦naux en situation de rechute et n¨¦cessitant une hospitalisation imm¨¦diate ne peuvent pas toujours effectuer le suivi en Inde, compte tenu du temps n¨¦cessaire ¨¤ la planification du voyage (au moins cinq jours pour obtenir un visa) et des frais associ¨¦s. ?
Pour y rem¨¦dier et assurer la continuit¨¦ des soins aux patients, le gouvernement indien a cr¨¦¨¦ le programme Focus Africa et s¡¯est associ¨¦ ¨¤ l¡¯Union africaine pour mettre en place le Pan African e-Network.?
Cr¨¦¨¦ en 2002, le programme Focus Africa facilite les ¨¦changes commerciaux entre l¡¯Inde et plusieurs pays africains, dont l¡¯?gypte, le Nig¨¦ria, le Kenya et l¡¯Afrique du Sud, notamment pour am¨¦liorer l¡¯acc¨¨s aux produits pharmaceutiques abordables sur le continent. ?
Le Pan-African e-Network favorise le t¨¦l¨¦-enseignement et la t¨¦l¨¦m¨¦decine pour assurer la continuit¨¦ des soins aux patients africains trait¨¦s en Inde. Le t¨¦l¨¦-enseignement permet de suivre des cours sur Internet ou en vid¨¦o, tandis que la t¨¦l¨¦m¨¦decine se sp¨¦cialise dans le diagnostic et la prestation de soins ¨¤ distance ¨¤ l¡¯aide d¡¯un dispositif de t¨¦l¨¦communication. Ce syst¨¨me permet ¨¤ un patient d¡¯¨ºtre suivi dans un h?pital d¡¯enseignement en Afrique jumel¨¦ ¨¤ un h?pital en Inde. ?
Les prestataires de soins indiens font? ¨¦galement le n¨¦cessaire? pour cr¨¦er des co-entreprises avec des h?pitaux en Afrique. Pour le moment, ils investissent en ?gypte, en ?thiopie, au Kenya, ¨¤ Maurice et au Mozambique. ?
Afrique du Sud
L¡¯Afrique du Sud, quant ¨¤ elle, r¨¦alise des progr¨¨s en mati¨¨re de m¨¦decine. En 2012, entre 300 000 et 350 000 touristes du continent s¡¯y sont rendus pour y recevoir un traitement m¨¦dical. Moins loin que l¡¯Inde, l¡¯Afrique du Sud attire en outre pour ses spas et safaris. ?
Les touristes m¨¦dicaux africains ne s¡¯y rendent pas tant pour r¨¦aliser des ¨¦conomies, sinon pour les infrastructures et technologies m¨¦dicales de pointe, ainsi que pour les m¨¦decins, dont les comp¨¦tences r¨¦pondent aux normes internationales.
Pour les Europ¨¦ens, comme pour les touristes des continents am¨¦ricain et asiatique, l¡¯Afrique du Sud offre une alternative abordable pour bon nombre de chirurgies esth¨¦tiques, gr?ce ¨¤ la faible valeur du rand. Par exemple, une augmentation mammaire factur¨¦e 8 000 dollars au Royaume-Uni revient ¨¤ environ 3 600 dollars en Afrique du Sud, selon Medical Tourism SA, une soci¨¦t¨¦-conseil pour les touristes m¨¦dicaux.
Les patientes am¨¦ricaines qui paient environ 12 400 dollars pour une f¨¦condation in vitro, une intervention permettant ¨¤ une femme de tomber enceinte, peuvent s¡¯attendre ¨¤ payer un tiers du prix en Afrique du Sud.
C¡¯est pour cette raison que le nombre de touristes m¨¦dicaux africains se rendant en Afrique du Sud par voie a¨¦rienne a augment¨¦ de 54 % ces trois derni¨¨res ann¨¦es, pour atteindre 10 477 en 2015, note Seye Abimbola dans un blog de la Banque africaine de d¨¦veloppement.
Perspectives d¡¯avenir
Si le tourisme m¨¦dical continuera d¡¯exister tant que les gens rechercheront de meilleurs prix et que les pays rivaliseront pour am¨¦liorer leurs offres, r¨¦soudre les probl¨¨mes des syst¨¨mes de sant¨¦ en Afrique r¨¦duira probablement les sommes d¨¦pens¨¦es pour le? tourisme m¨¦dical. Les ¨¦conomies r¨¦alis¨¦es sur le tourisme m¨¦dical pourront ensuite servir ¨¤ financer ou ¨¤ subventionner l¡¯assurance maladie pour les pauvres.
? l¡¯avenir, l¡¯Afrique devrait cr¨¦er des centres m¨¦dicaux r¨¦gionaux et nationaux, et exploiter les march¨¦s pharmaceutiques afin de produire et de distribuer des m¨¦dicaments g¨¦n¨¦riques qui permettront de r¨¦duire la d¨¦pendance m¨¦dicale ¨¤ l¡¯¨¦gard de l¡¯¨¦tranger. Si les soins de sant¨¦ ¨¦trangers s¡¯accompagnent de nombreux avantages, les critiques pensent que la situation n¡¯est pas viable et pas non plus n¨¦cessairement favorable aux ¨¦conomies africaines.? ?