Repenser l¡¯assurance maladie
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Repenser l¡¯assurance maladie
?Si nous pouvons transporter du Coca-Cola et de la bi¨¨re r¨¦frig¨¦r¨¦s jusqu'aux coins les plus recul¨¦s d'Afrique, il devrait ¨ºtre possible d'en faire autant? pour les m¨¦dicaments ?, affirmait? le Dr Joep Lange, un chercheur pionnier dans le traitement contre le VIH/sida en Afrique dans les ann¨¦es 1990, aujourd¡¯hui d¨¦c¨¦d¨¦.?
En 2000, il cr¨¦ait la Fondation PharmAccess pour rendre le traitement contre le VIH/sida accessible en Afrique, gr?ce ¨¤ des partenariats avec des multinationales pr¨¦sentes dans la r¨¦gion. Sa premi¨¨re r¨¦ussite a ¨¦t¨¦ de convaincre Heineken, une brasserie n¨¦erlandaise, d'offrir? le traitement ¨¤ ses employ¨¦s en Afrique.
Au d¨¦part, PharmAccess, bas¨¦e ¨¤ Amsterdam, se consacrait ¨¤? la fourniture de m¨¦dicaments vitaux destin¨¦s aux? patients infect¨¦s par le VIH. Aujourd¡¯hui, la fondation s¡¯appuie sur des soci¨¦t¨¦s priv¨¦es pour administrer de petits r¨¦gimes d¡¯assurance maladie ¨¤ croissance rapide destin¨¦s aux pauvres de plusieurs pays africains. Elle est active au Ghana, au Kenya, en Namibie, au Nig¨¦ria et en Tanzanie, o¨´ elle offre une assurance maladie par l¡¯entremise de partenariats public-priv¨¦.?
Le syst¨¨me de sant¨¦ en Afrique est ¨¦pouvantable. Seule une refonte pourrait le rapprocher du 3e Objectif de d¨¦veloppement durable des Nations Unies : permettre ¨¤ tous de vivre en bonne sant¨¦ et promouvoir le bien-¨ºtre de tous ¨¤ tout ?ge.?
Les malades luttent quotidiennement pour acc¨¦der ¨¤ des soins de sant¨¦ d¨¦cents. En cause, des syst¨¨mes de sant¨¦ nationaux gravement sous-financ¨¦s, un manque d¡¯infrastructures de base pour fournir eau potable et ¨¦lectricit¨¦, ainsi qu¡¯une s¨¦v¨¨re p¨¦nurie de personnel? de? sant¨¦. L¡¯¨¦pid¨¦mie d¡¯Ebola, qui devait ¨ºtre un coup de semonce, a r¨¦v¨¦l¨¦ le ventre mou des syst¨¨mes de sant¨¦ d¨¦ficients du continent.?
Les statistiques brossent un sombre tableau. L¡¯Organisation mondiale de la Sant¨¦ (OMS) estime que l¡¯Afrique supporte un quart de la ? charge mondiale de morbidit¨¦, mais n¡¯a acc¨¨s qu¡¯¨¤ 3 % du personnel? de? sant¨¦ et ¨¤ moins de 1 % des ressources financi¨¨res mondiales ?. ? peine une poign¨¦e de pays africains ont tenu leur promesse, faite ¨¤ l¡¯Union africaine, de consacrer au moins 15 % de leur budget aux soins de sant¨¦. ?
Dans les pays dot¨¦s de soins de sant¨¦ publics, leur prix est difficilement accessible ¨¤ la majorit¨¦. Dans certains cas, un syst¨¨me ¨¤ deux vitesses offre aux riches un acc¨¨s ¨¤ des soins de qualit¨¦ gr?ce ¨¤ une assurance maladie priv¨¦e, tandis que les autres doivent se r¨¦signer ¨¤ des ¨¦tablissements publics bond¨¦s et payer de leur poche.?
D¨¦penses non rembours¨¦es
Malheureusement, la situation empire. La Banque mondiale estime qu¡¯en Afrique subsaharienne la part des d¨¦penses de sant¨¦ non rembours¨¦es, par rapport aux d¨¦penses de sant¨¦ totales, est pass¨¦e de 40 % en 2000 ¨¤ plus de 60 % en 2014. Les d¨¦penses non rembours¨¦es peuvent produire des effets catastrophiques sur les familles, les attirant dans le pi¨¨ge de la pauvret¨¦.?
Dans les rares pays africains dot¨¦s de r¨¦gimes nationaux d¡¯assurance maladie, seule une minorit¨¦ y a acc¨¨s, selon l¡¯OMS. Au Ghana, indique l¡¯organisation, seul un tiers de la population b¨¦n¨¦ficie d¡¯une assurance maladie au titre du r¨¦gime national d¡¯assurance maladie du pays. Le r¨¦gime national du Nig¨¦ria couvre moins de 3 % de ses citoyens.?
L¡¯Afrique du Sud d¨¦pense plus en assurance maladie priv¨¦e volontaire (42 % des d¨¦penses de sant¨¦ totales) que tout autre pays au monde, selon l¡¯OMS. Pourtant, ce r¨¦gime couvre uniquement 16 % de la population. Le pays, o¨´ les diff¨¦rents groupes socio¨¦conomiques ont un acc¨¨s in¨¦gal aux soins de sant¨¦, a commenc¨¦ ¨¤ d¨¦ployer un syst¨¨me national d¡¯assurance maladie unique qui fournira des soins gratuits ¨¤ tous les Sud-Africains.?
S¡¯il y avait une seule innovation sur le continent qui nous m¨¨nerait ¨¤ la r¨¦alisation de la couverture sant¨¦ universelle, alors c¡¯est M-Tiba. M-Tiba est r¨¦ellement un bond en avant pour la couverture m¨¦dicale au Kenya.
Le Rwanda est le premier pays africain ¨¤ fournir une assurance maladie universelle. Le taux de couverture de son r¨¦gime national communautaire est le plus ¨¦lev¨¦ du continent. Ce r¨¦gime, appel¨¦ Mutuelles de sant¨¦, couvre 91 % de la population. Pour atteindre ce niveau, le Rwanda a form¨¦ des milliers d¡¯agents de sant¨¦ communautaires ¡ª 45 000 ¨¤ ce jour. Si l¡¯assurance maladie est financ¨¦e par le gouvernement et par des primes individuelles, les bailleurs financent pr¨¨s de la moiti¨¦ du budget sanitaire du Rwanda. ? Les Rwandais les plus d¨¦favoris¨¦s ne paient rien pour adh¨¦rer au programme, tandis que les plus ais¨¦s paient environ 8 dollars par an ?, indique l¡¯hebdomadaire britannique The Economist. ? Une consultation chez le m¨¦decin ne co?te ensuite que 30 cents environ. ? Chose remarquable pour un pays dont le revenu national par habitant, 692 dollars, est l¡¯un des plus faibles au monde.
Pour inverser les tendances actuelles, les experts estiment que le secteur priv¨¦ doit? prendre l¡¯initiative d¡¯offrir une couverture d¡¯assurance pr¨¦pay¨¦e abordable, surtout pour les familles ¨¤ faible revenu. Selon McKinsey, un cabinet de conseil aupr¨¨s des directions g¨¦n¨¦rales bas¨¦ aux ?tats-Unis, la valeur du march¨¦ des soins de sant¨¦ en Afrique s¡¯¨¦l¨¨ve ¨¤ 35 milliards de dollars environ.?
Adopter une nouvelle approche
Un article prim¨¦ qui a pour titre, ? A New Paradigm for Increased Access to Healthcare in Africa ?, r¨¦dig¨¦ par le Dr Lange de PharmAccess et trois autres experts m¨¦dicaux ¡ª le Dr Onno P. Schellekens, le Dr Marianne E. Linder et le Pr Jacques van der Gaag ¡ª soutient qu¡¯il est temps de repenser la fa?on dont les soins de sant¨¦ sont dispens¨¦s? dans les pays pauvres. Bien que cet article ne soit pas r¨¦cent (2007), son mod¨¨le novateur de financement des soins de sant¨¦ commence ¨¤ porter ses fruits l¨¤ o¨´ il est appliqu¨¦.?
En substance, l¡¯article indique qu¡¯au lieu de mettre l'accent? sur les gouvernements et de voir en eux les? principaux bailleurs de fonds et prestataires de soins, la priorit¨¦ devrait ¨ºtre d¡¯encourager les initiatives du secteur priv¨¦ ayant pour objectif? ? d¡¯assurer aux m¨¦nages ¨¤ faible revenu un acc¨¨s ¨¤ des soins abordables et de haute qualit¨¦ ?. Les auteurs d¨¦crivent une strat¨¦gie en trois ¨¦tapes qui, selon eux, est ? essentielle pour mettre en place? des syst¨¨mes de sant¨¦ viables ? qui am¨¦liorent l¡¯acc¨¨s dans les pays pauvres.?
La premi¨¨re ¨¦tape consiste ¨¤ cibler ceux qui peuvent payer, puis aligner la demande et l¡¯offre de soins ¨¤ l¡¯aide de modalit¨¦s de pr¨¦paiement, cette m¨ºme pratique qui a contribu¨¦ au? succ¨¨s des? op¨¦rateurs de t¨¦l¨¦phonie mobile en Afrique. La deuxi¨¨me, mettre en place des syst¨¨mes de mutualisation des risques en utilisant les d¨¦penses non rembours¨¦es existantes afin ainsi? de r¨¦duire les co?ts, augmenter la qualit¨¦, accro?tre la volont¨¦ de payer et stimuler l'apport de? fonds. La derni¨¨re ¨¦tape consiste ¨¤ appliquer des normes de qualit¨¦ dans les pays ¨¤ faible r¨¦glementation.
Ce mod¨¨le pourrait para?tre irr¨¦alisable? si PharmAccess ne l¡¯appliquait pas d¨¦j¨¤? au Kenya, en Namibie, au Nig¨¦ria, en Tanzanie et en Ouganda. Le dispositif? en est encore ¨¤ ses d¨¦buts, mais il gagne rapidement en popularit¨¦ aussi bien aupr¨¨s des b¨¦n¨¦ficiaires de soins que des prestataires.?
PharmAccess a lanc¨¦ en 2013 le portefeuille sant¨¦ mobile mHealth. Ce portefeuille, utilisable avec un t¨¦l¨¦phone portable, sert uniquement ¨¤ payer des d¨¦penses de sant¨¦. Le forfait pilote a cibl¨¦ 5 000 m¨¨res d¡¯enfants de moins de cinq ans vivant dans des implantations sauvages dans la capitale k¨¦nyane Nairobi. Le portefeuille des utilisatrices a ¨¦t¨¦ cr¨¦dit¨¦ de mille shillings k¨¦nyans (10 dollars). Une enqu¨ºte men¨¦e aupr¨¨s des femmes a r¨¦v¨¦l¨¦ un taux de satisfaction de 90 % ; plus de trois quarts des utilisatrices interrog¨¦es ont d¨¦clar¨¦ souhaiter utiliser le portefeuille pour y placer leur propre argent destin¨¦ ¨¤ la sant¨¦.?
Des partenariats fructueux
Deux ans plus tard, apr¨¨s le succ¨¨s du projet pilote, PharmAccess s¡¯est associ¨¦e ¨¤ Safaricom, le plus grand op¨¦rateur mobile du Kenya, et ¨¤ M-Pesa, un service de transfert d¡¯argent par t¨¦l¨¦phone mobile, afin de lancer un portefeuille sant¨¦ mobile appel¨¦ M-Tiba (m pour ? mobile ? et tiba pour ? traitement m¨¦dical ? en swahili). M-Tiba permet aux utilisateurs d¡¯¨¦conomiser de l¡¯argent dans leur t¨¦l¨¦phone portable afin de payer des services m¨¦dicaux dans des ¨¦tablissements d¨¦sign¨¦s.?
En octobre 2016, PharmAccess a ¨¦tendu M-Tiba ¨¤ tout le pays, ciblant les K¨¦nyans ¨¤ faible revenu. ? ce jour, M-Tiba enregistre plus de 100 000 utilisateurs ayant acc¨¨s ¨¤ 120 prestataires de soins ¨¤ Nairobi et dans certaines zones en dehors de la ville.?
? S'il est? un ¨¦v¨¦nement novateur qui a eu lieu sur le continent et qui nous m¨¨ne vers la r¨¦alisation de la couverture sanitaire universelle, c¡¯est bien M-Tiba ?, a fait remarquer Khama Rogo, responsable de l¡¯initiative de la Banque mondiale Sant¨¦ en Afrique.
? M-Tiba fait faire un bond aux soins de sant¨¦ au Kenya. ??
M-Tiba pr¨¦sente plusieurs avantages. Les utilisateurs peuvent ¨¦conomiser de l¡¯argent pour leurs soins de sant¨¦, ou recevoir des contributions d¡¯amis et de parents ou d¡¯autres payeurs tels que le gouvernement ou des organisations caritatives?
Refus de traitement?
Selon Nicole Spieker, directrice qualit¨¦ ¨¤ PharmAccess, la soci¨¦t¨¦ collabore? avec des entreprises et le gouvernement du Nig¨¦ria et de la Tanzanie afin d'assurer aux pauvres? des r¨¦gimes de soins de sant¨¦ pr¨¦pay¨¦s. Mme Spieker a indiqu¨¦ ¨¤ Afrique Renouveau par courriel que plus de 200 000 personnes ont adh¨¦r¨¦ au programme d¡¯assurance maladie de l¡¯?tat de Kwara au Nig¨¦ria et ¨¤ l¡¯improved Community Health Fund (iCHF) en Tanzanie.
Les analystes pensent que le secteur de l¡¯assurance maladie priv¨¦e ¡ª en partenariat avec les gouvernements et en tirant parti des technologies ¡ª peut transformer les syst¨¨mes de sant¨¦ en Afrique. Toutefois, les critiques avertissent que s¡¯il n¡¯est pas correctement r¨¦glement¨¦, le secteur peut enrichir les actionnaires des compagnies? d¡¯assurance tout en refusant ou en limitant les traitements dispens¨¦s aux patients. Et d¡¯ajouter qu'en l'absence de contr?le, les soci¨¦t¨¦s pourraient manquer de rigueur concernant les fraudes, le gaspillage et le maintien des faibles co?ts. Elles pourraient choisir les maladies qu¡¯elles couvrent, ou ¨¦viter d¡¯inscrire des personnes malades, voire refuser un traitement chaque fois qu¡¯elles le peuvent. ? ?