51³Ô¹Ï

Prix des mati¨¨res premi¨¨res : l¡¯Afrique victime de la d¨¦gringolade

Get monthly
e-newsletter

Prix des mati¨¨res premi¨¨res : l¡¯Afrique victime de la d¨¦gringolade

En cause, la volatili³Ù¨¦ des march¨¦s financiers et les faiblesses de la croissance mondiale
Kingsley Ighobor
Afrique Renouveau: 
An oil production facility in Nigeria. Photo credit: Panos/J
Photo credit: Panos/J
Une usine de production d'huile au Nig¨¦ria.

Il y a ¨¤ peine trois ans, l¡¯Afrique abritait la plupart des pays affichant la plus forte croissance au monde, dont l¡¯Angola, le Tchad, l¡¯?thiopie, le Mozambique, le Nig¨¦ria, le Rwanda et la Sierra Leone. Une classe moyenne ¨¦mergeait, men¨¦e par de jeunes entrepreneurs technophiles propri¨¦taires de voitures tape-¨¤-l¡¯?il, de maisons neuves et des derniers smartphones.

L¡¯impressionnante croissance ¨¦conomique moyenne africaine, pr¨¨s de 5 % au cours des 14 ann¨¦es pr¨¦c¨¦dant 2014, suscitait l¡¯optimisme des ¨¦conomistes quant au potentiel de d¨¦veloppement du continent. Soutenue principalement par les cours ¨¦lev¨¦s des mati¨¨res premi¨¨res et par une exposition marginale aux march¨¦s financiers mondiaux, l¡¯¨¦conomie africaine, dans son ensemble, a ¨¦³Ù¨¦ ¨¦pargn¨¦e par la crise financi¨¨re mondiale de 2009. En outre, les flux constants d¡¯investissements ¨¦trangers directs ont assur¨¦ une trajectoire de croissance durable.

Durant cette p¨¦riode, la Chine, l¡¯Inde, le Br¨¦sil et les pays europ¨¦ens se bousculaient pour pouvoir investir en Afrique. En 2013, la Brookings Institution, un groupe de r¨¦flexion de Washington, d¨¦clarait que c¡¯¨¦tait une erreur de ne pas ? tenir compte des r¨¦ali³Ù¨¦s actuelles du continent ¨¦mergent ? et de ne pas ? exploiter le potentiel de l¡¯Afrique en tant que march¨¦ pour les? produits am¨¦ricains ?. M¨ºme la revue britannique The Economist, habituellement r¨¦serv¨¦e, consacrait son num¨¦ro du 11 d¨¦cembre 2011 ¨¤ ? L¡¯essor africain ?, et repr¨¦sentait sur la couverture la silhouette d¡¯un enfant faisant flotter un cerf-volant qui ¨¦pousait? la forme du continent.?

Revers de fortune

Une chute vertigineuse des cours des mati¨¨res premi¨¨res est en train de ternir les espoirs africains. L¡¯Angola, le Lib¨¦ria, le Mozambique, le Nig¨¦ria, la Sierra Leone et l¡¯Ouganda ¡ª pays africains d¨¦pendant le plus fortement des mati¨¨res premi¨¨res telles que le p¨¦trole, l¡¯or, les diamants, la bauxite, le rutile, le bois et le cuivre ¡ª se trouvent d¡¯ores et d¨¦j¨¤ dans une situation d¨¦sastreuse.?

Les ¨¦conomistes attribuent ¨¦galement ce brusque revers de fortune ¨¤ d¡¯autres facteurs tels que la volatili³Ù¨¦ des march¨¦s financiers mondiaux, les faiblesses de la croissance mondiale, particuli¨¨rement en Chine, au Br¨¦sil et en Inde, la hausse des co?ts d¡¯emprunt et les graves difficul³Ù¨¦s en mati¨¨re d¡¯infrastructure (en particulier pour l¡¯approvisionnement en ¨¦lectrici³Ù¨¦) dans de nombreux pays. C¡¯est toutefois le plongeon des cours des mati¨¨res premi¨¨res qui a por³Ù¨¦ le coup le plus d¨¦vastateur.?

Les cours du p¨¦trole ont chu³Ù¨¦ de 100 dollars le baril en 2013 ¨¤ 26 dollars en f¨¦vrier 2016, oscillant autour de 50 dollars en octobre. L¡¯insuffisance des recettes p¨¦troli¨¨res entra?ne les producteurs de p¨¦trole africains, notamment le Nig¨¦ria, l¡¯Angola, la Guin¨¦e ¨¦quatoriale, la Libye, l¡¯Alg¨¦rie et l¡¯?gypte, dans un contexte ¨¦conomique adverse.?

Un coup dur

Pour le Nig¨¦ria et l¡¯Angola, les premiers producteurs du continent, les recettes p¨¦troli¨¨res repr¨¦sentent plus de 90 % des exportations et plus de 70 % de leur budget national. Le faible prix du baril a fait chuter la croissance ¨¦conomique de tous les pays africains exportateurs de p¨¦trole de 5,4 % en moyenne en 2014 ¨¤ 2,9 % en 2016. Il faut tenir compte du fait que? l¡¯Angola a tir¨¦ du p¨¦trole 60,2 milliards de dollars en 2014, contre 33,4 en 2015 : une baisse consid¨¦rable de revenus qui refl¨¨te la situation dans? d¡¯autres pays.?

Les pays producteurs de cuivre n¡¯ont pas connu un meilleur sort vu que les cours ont chu³Ù¨¦ ¨¤ leur plus bas niveau depuis 1998. La Banque mondiale indique qu¡¯en f¨¦vrier 2016, ? les cours du cuivre ont baiss¨¦ de pr¨¨s d¡¯un tiers par rapport au sommet atteint en f¨¦vrier 2011, 4 595 dollars la tonne ?.?

Plus de la moiti¨¦ des producteurs de cuivre de Zambie perdent de l¡¯argent et les acteurs majeurs du pays, comme la multinationale anglo-suisse Glencore et la soci¨¦³Ù¨¦ chinoise Luanshya Copper Mines, ont mis la clef sous la porte, entra?nant des milliers de pertes d¡¯emploi. L¡¯¨¦conomie zambienne conna?t actuellement une croissance de 3 %, contre 7 % en 2014. Bien que certains analystes voient une reprise de l¡¯¨¦conomie chinoise, ces derni¨¨res ann¨¦es, la Chine, qui ach¨¨te jusqu¡¯¨¤ 40 % du cuivre mondial, n¡¯a pas pu se permettre d¡¯acheter en tr¨¨s grande quanti³Ù¨¦ du fait du ralentissement ¨¦conomique.

La Sierra Leone est aux prises avec la chute des cours du minerai de fer, alors m¨ºme qu¡¯elle se remet de la flamb¨¦e du virus Ebola. African Minerals, une compagnie mini¨¨re enregistr¨¦e ¨¤ Londres, g¨¦rait les mines de minerai de fer du district de Tonkolili, dans le nord de la Sierra Leone, d'une valeur de? plus de 1 milliard de dollars. Le district abrite le plus grand gisement de minerai de fer africain et le troisi¨¨me mondial.?

En 2011, le minerai de fer ¨¦tait vendu 191 dollars la tonne, mais celle-ci a chu³Ù¨¦ ¨¤ 45 dollars en juin 2016. Confron³Ù¨¦e ¨¤ des accusations de corruption et ¨¤ d¡¯¨¦normes pertes financi¨¨res, African Minerals a vendu les mines en d¨¦cembre 2015 ¨¤ la soci¨¦³Ù¨¦ publique chinoise Shandong Iron and Steel Group. L¡¯exploitation devrait reprendre d¡¯ici la fin de 2016.

Le minerai de fer est une source ¨¦conomique vitale pour la Sierra Leone. ? Le d¨¦clin des cours du minerai de fer a affec³Ù¨¦ la stabili³Ù¨¦ macrofinanci¨¨re? et invers¨¦ la trajectoire remarquable de croissance? positive que connaissait le pays ?, insiste la Banque africaine de d¨¦veloppement.

Les citoyens ordinaires ressentent l¡¯impact de la d¨¦pr¨¦ciation de la monnaie et de la hausse de l¡¯inflation. La valeur du naira nig¨¦rian est pass¨¦e de 150 ¨¤ 450 nairas pour un dollar entre janvier 2014 et octobre 2016. La monnaie sierra-l¨¦onaise a connu le m¨ºme sort, chutant ¨¤ 6 500 leones pour un dollar, contre 5 000 l¡¯ann¨¦e pr¨¦c¨¦dente.?

La d¨¦pr¨¦ciation de la monnaie du Nig¨¦ria signifie que le pays a perdu le droit de se qualifier lui-m¨ºme de plus grande ¨¦conomie d¡¯Afrique. Apr¨¨s le changement de base, ¨¤ savoir l¡¯adoption de nouveaux prix pour mesurer le PIB d¡¯un pays, de 2014, l¡¯¨¦conomie nig¨¦riane ¨¦tait ¨¦valu¨¦e ¨¤ 488 milliards de dollars. Avec la d¨¦pr¨¦ciation du naira caus¨¦e par le d¨¦clin des recettes d¡¯exportation, l¡¯¨¦conomie a chu³Ù¨¦ ¨¤ 296 milliards de dollars, selon des donn¨¦es publi¨¦es en ao?t par le FMI.?

La flamb¨¦e des prix des biens et des services sans augmentation parall¨¨le? de la r¨¦mun¨¦ration pourrait avoir une incidence sur les prix de l¡¯alimentation et contribuer ¨¤ des troubles sociaux en Afrique, craignent les experts.?

Mesures d¡¯aus³Ù¨¦ri³Ù¨¦

Les pays d¨¦pendant des mati¨¨res premi¨¨res sont confron³Ù¨¦s ¨¤ d¡¯¨¦normes d¨¦ficits budg¨¦taires, ce qui explique pourquoi l¡¯Angola, le Ghana et la Zambie ont re?u des pr¨ºts de sauvetage du FMI ou en n¨¦gocient d'arrache-pied.?

Le Nig¨¦ria refond son syst¨¨me fiscal pour accro?tre ses recettes, lutte ¨¦nergiquement contre la corruption et r¨¦cup¨¨re l¡¯argent d¨¦tourn¨¦ cach¨¦ dans les banques ¨¦trang¨¨res, et pr¨¦voit en m¨ºme temps d¡¯emprunter de l¡¯argent ¨¤ la Chine et ¨¤ des banques locales. Le pays veut vendre une partie de son patrimoine national, notamment des compagnies ¨¦nerg¨¦tiques et p¨¦troli¨¨res.

Le pays? a officiellement d¨¦clar¨¦ une r¨¦cession en ao?t, apr¨¨s deux trimestres de croissance n¨¦gative.

En mars dernier, la Sierra Leone a annonc¨¦ une r¨¦duction de 30 % des d¨¦penses publiques,? suspendu le financement de projets d¡¯investissement et l¡¯achat de mobilier,? supprim¨¦ les indemni³Ù¨¦s de d¨¦placement des fonctionnaires et? instaur¨¦ une diminution de 50 % des indemni³Ù¨¦s? d¡¯entretien des v¨¦hicules, entre autres mesures.?

Cependant, Herbert M¡¯cleod, un ¨¦conomiste sierra-l¨¦onais de renom, indique que ? c¡¯est ¨¤ cause de mauvaises politiques et d¡¯une mauvaise gestion que nous en sommes rendus l¨¤ ?, et recommande d¡¯utiliser les recettes mini¨¨res pour notamment stimuler la cr¨¦ation d¡¯emplois, d¨¦velopper l¡¯approvisionnement en ¨¦lectrici³Ù¨¦ et construire des routes.

Le gouvernement ougandais a supprim¨¦ les subventions ¨¤ l¡¯essence et au gazole, suspendu la construction de nouvelles routes, interdit les voyages ¨¤ l¡¯¨¦tranger non essentiels et stopp¨¦ le lancement d¡¯une nouvelle compagnie a¨¦rienne. La Zambie r¨¦duit les subventions ¨¤ l¡¯¨¦lectrici³Ù¨¦ et aux intrants agricoles.

L¡¯Afrique du Sud, qui exporte principalement du minerai de fer, du charbon, de l¡¯or et d¡¯autres min¨¦raux, est ¨¦galement touch¨¦e par la chute des cours des mati¨¨res premi¨¨res. En pr¨¦sentant le budget 2016, le ministre des finances Pravin Gordham a d¨¦clar¨¦, ? Il ne fait aucun doute que nous sommes en crise ?, avant d¡¯annoncer une r¨¦duction des d¨¦penses sans pr¨¦c¨¦dent de 25 milliards de rands (environ 1,7 milliard de dollars). Le Lib¨¦ria, la Gambie et d¡¯autres pays mettent ¨¦galement en ?uvre diverses mesures d¡¯aus³Ù¨¦ri³Ù¨¦.?

Bonne nouvelle pour certains pays

La Commission ¨¦conomique pour l¡¯Afrique (CEA) a, au fil des ans, encourag¨¦ les pays ¨¤ s¡¯industrialiser en se diversifiant pour ne pas ¨ºtre tributaires? de leurs mati¨¨res premi¨¨res ou pour, au moins, leur ajouter de la valeur. L¡¯ancien Secr¨¦taire ex¨¦cutif de la CEA, Carlos Lopes, a plusieurs fois soulign¨¦ le paradoxe de pays important du chocolat Toblerone de Suisse quand le continent produit 70 % du cacao mondial, ingr¨¦dient de base du chocolat.

Si les pays exportateurs de p¨¦trole sont en proie ¨¤ des anxi¨¦³Ù¨¦s ¨¦conomiques, les faibles cours du p¨¦trole sont une bonne nouvelle pour les pays importateurs tels que le Kenya, le Rwanda et la Tanzanie. En effet, ces pays d¨¦pensent moins et peuvent r¨¦injecter les fonds exc¨¦dentaires dans des infrastructures faisant cruellement d¨¦faut, comme les routes, les ponts et l¡¯¨¦nergie. La solide croissance de ces ¨¦conomies se poursuivra, selon les pr¨¦visions de la Banque mondiale.

? l¡¯avenir, les mesures d¡¯at³Ù¨¦nuation exigeront une bonne gestion financi¨¨re et une plus grande g¨¦n¨¦ration de recettes? ¨¤ l¡¯¨¦chelle locale, d¨¦clarent les experts. Selon Makhtar Diop, vice-pr¨¦sident de la Banque mondiale pour l¡¯Afrique.

Il peut encore ressortir quelque chose de positif : les experts s¡¯attendent ¨¤ ce que les politiques de rigueur actuelles en Afrique fassent effet dans le moyen ¨¤ long terme et prot¨¨gent? les budgets nationaux.?

En outre, les pays vont tirer les enseignements de la variation des cours des mati¨¨res premi¨¨res et seront plus enclins ¨¤ poursuivre la diversification de leur ¨¦conomie. La Banque mondiale indique que l¡¯agriculture et l¡¯urbanisation sont des secteurs o¨´ il est important d¡¯investir.?