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Union Africaine : le retour du Maroc

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Union Africaine : le retour du Maroc

Le royaume ch¨¦rifien est de retour ¨¤ l¡¯Union africaine apr¨¨s s¡¯¨ºtre progressivement ¨¦rig¨¦ en une force ¨¦conomique majeure en Afrique subsaharienne,
Franck Kuwonu
Afrique Renouveau: 
Moroccan King Mohammed VI is welcomed by President John Pombe Magufuli on a visit to Tanzania in October 2016. Photo credit: Presidency of Tanzania
Photo credit: Presidency of Tanzania
Le Roi du Maroc Mohammed VI accueilli par le pr¨¦sident John Pombe Magufuli durant sa visite en Tanzanie en octobre 2016. Photo: Pr¨¦sidence de Tanzanie

"Il est bon le jour o¨´ l'on rentre chez soi apr¨¨s une longue absence", a affirm¨¦ Mohammed VI, le roi du Maroc apr¨¨s que son pays a ¨¦t¨¦ r¨¦admis ¨¤ l¡¯Union Africaine en janvier dernier.

La d¨¦cision du sommet d¡¯Addis-Abeba marque l¡¯aboutissement d¡¯un remarquable et rapide processus d¨¨s que le royaume notifia formellement au sommet de Kigali, l¡¯ann¨¦e derni¨¨re, son intention de rentrer au bercail. Trente-neuf des 54 membres de l¡¯l¡¯UA ont vot¨¦ en faveur de la r¨¦admission.

Le Maroc avait quitt¨¦ l'ancienne Organisation de l'unit¨¦ africaine (OUA, pr¨¦d¨¦cesseur de l'UA) en 1984 pour protester contre l¡¯attribution de si¨¨ges au Front Polisario, admis comme repr¨¦sentant de la R¨¦publique arabe sahraouie d¨¦mocratique (RASD), une ancienne colonie espagnole ¨¤ l'ouest du Sahara. Le Maroc consid¨¨re cette partie comme partie int¨¦grante de son territoire. La RASD conteste la position du Maroc et 30 ans plus tard, le conflit n'a toujours pas ¨¦t¨¦ r¨¦gl¨¦.

En expliquant la d¨¦cision du Maroc de rejoindre l'UA, le roi avait d¨¦clar¨¦: ? Quand un corps est malade, il est plus facile de le soigner de l'int¨¦rieur que de l'ext¨¦rieur.? ?

Mais en son absence de l¡¯organisation panafricaine, le royaume a d¨¦velopp¨¦ des liens ¨¦conomiques avec de nombreux pays du continent, principalement par le biais du commerce et des investissements. Il semble d¨¦sormais qu¡¯il ait r¨¦ussi ¨¤ faire jouer de son influence ¨¦conomique en faveur de son retour.

Ambition continentale

? Nous sommes Arabes, mais aussi Berb¨¨res et Maghr¨¦bins ?, expliquait Brahim Fassi Fihri, pr¨¦sident et fondateur de l'institut Amadeus, un think-tank marocain, ¨¤?Afrique Renouveau.

?voquant l'identit¨¦ multiculturelle de son pays, essentiellement compos¨¦ de groupes ethniques berb¨¨res et maghr¨¦bins, il soutient que la d¨¦cision du Maroc de quitter l'organisme r¨¦gional il y a trois d¨¦cennies avait ¨¦t¨¦ une? ? erreur strat¨¦gique ?. Pourtant, ? l'Afrique est notre patrie? naturelle, poursuit-il. Nous avions peut-¨ºtre quitt¨¦ une organisation, mais nous n'aurions jamais pu quitter le continent. ?

En signe de solidarit¨¦ politique avec l'Afrique, la compagnie a¨¦rienne nationale, Royal Air Maroc, a maintenu ses vols r¨¦guliers vers l'Afrique de l'Ouest au plus fort de l'¨¦pid¨¦mie d'?bola, il y a deux ans, alors m¨ºme qu¡¯¨¤ l'exception de Brussels Airlines, toutes les compagnies a¨¦riennes suspendaient leurs vols vers les pays touch¨¦s ¨C Guin¨¦e, Lib¨¦ria et Sierra Leone ¨C par crainte de la contagion.

La d¨¦cision s'appuyait? sur des raisons humanitaires et non commerciales ¨C une solidarit¨¦ confraternelle ? refl¨¦tant l'engagement constant du royaume envers l'Afrique ?, a d¨¦clar¨¦ ¨¤ l'¨¦poque un porte-parole de la compagnie ¨¤ l'Agence france-presse (AFP).

La compagnie a¨¦rienne a ¨¦largi son r¨¦seau ¨¤ travers le continent. Au cours de la derni¨¨re d¨¦cennie, ses vols vers les destinations africaines sont pass¨¦s de 14 en 2007 ¨¤ 32 en 2016.

Dans une certaine mesure, l'histoire du transporteur a¨¦rien marocain illustre de mani¨¨re ¨¦loquente? l'ambition d'expansion ¨¦conomique du pays en Afrique.

Entre? 2004 et 2014, le commerce du Maroc avec le reste du continent a augment¨¦ en moyenne de 13 % par an (3,7 milliards de dollars), dont 42 % avec l'Afrique subsaharienne. Cela ne repr¨¦sente que 6,4 % du commerce global du royaume sur cette m¨ºme p¨¦riode, selon un rapport du gouvernement intitul¨¦?Relations Maroc-Afrique : l'ambition d'une nouvelle fronti¨¨re.

Premier investisseur?

Le changement le plus remarquable a cependant ¨¦t¨¦ l'investissement direct du Maroc en Afrique. Selon le?Rapport sur l'investissement dans le monde 2016?de la Conf¨¦rence des Nations Unies sur le commerce et le d¨¦veloppement (CNUCED), le royaume y a investi quelque 600 millions de dollars en 2015. Le Mali voisin se taille la part du lion, suivi de la C?te d'Ivoire, du Burkina Faso, du S¨¦n¨¦gal et du Gabon.

Au cours de la d¨¦cennie qui s'est achev¨¦e en 2016, les investissements marocains en Afrique subsaharienne repr¨¦sentaient 85 % de l'ensemble de ses stocks d'investissements ¨¦trangers directs (IED), selon les donn¨¦es du Minist¨¨re marocain des finances et de la Banque africaine de d¨¦veloppement.

? Les Marocains se sont affirm¨¦s comme investisseurs sur le continent en lan?ant 13 investissements intra-africains, ce qui repr¨¦sente le plus haut niveau d¡¯investissement du continent en plus d'une d¨¦cennie ?, soulignait en 2015 un rapport d'enqu¨ºte du cabinet de conseil financier Ernst & Young.

Pour Ernst & Young,? l'int¨¦r¨ºt croissant port¨¦ par le? Maroc ¨¤ l'Afrique subsaharienne s'explique par le fait que ? les entreprises marocaines regardent vers l'Afrique subsaharienne alors m¨ºme que? leur pays devient une plateforme d'exportation vers d'autres pays africains ?.

Les investissements marocains se concentrent principalement dans les secteurs de la banque et des t¨¦l¨¦communications ¨C secteurs qui, en 2013, repr¨¦sentaient 88 % de ses stocks d'IED en Afrique subsaharienne.

La principale banque du pays, le groupe Attijariwafa Bank, ainsi qu'une partie de la Soci¨¦t¨¦ nationale d'investissement (SNI), qui compte 7,4 millions de clients et plus de 16 000 employ¨¦s, interviennent dans 10 pays d'Afrique subsaharienne : le Cameroun, la R¨¦publique du Congo, la C?te d'Ivoire, le Gabon, la Guin¨¦e-Bissau, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le S¨¦n¨¦gal et le Togo.

Le groupe Banque marocaine du commerce ext¨¦rieur (BMCE) est pr¨¦sent dans 18 pays, principalement en Afrique de l'Ouest, du Centre et de l'Est, ¨¤ travers la Banque d'Afrique, sa filiale. Maroc Telecom, la premi¨¨re compagnie marocaine de t¨¦l¨¦phonie, a des activit¨¦s sous diff¨¦rents noms (dont Moov en Afrique de l'Ouest francophone) dans 11 pays africains, comme le Burkina Faso et le Mali.?

Destination privil¨¦gi¨¦e

Au-del¨¤ de ces secteurs traditionnels, les entreprises marocaines se sont ¨¦galement lanc¨¦es? dans l'assurance. Le Saham Insurance Group a ainsi commenc¨¦ ¨¤ mener des activit¨¦s dans 10 pays africains en 2010 et continue de se d¨¦velopper sur toute l¡¯Afrique, plus r¨¦cemment avec l'acquisition en 2015 de Continental Reinsurance Plc, au Nig¨¦ria.

Pendant de nombreuses ann¨¦es, ce sont les pays d'Afrique de l'Ouest et dans une certaine mesure, les pays d'Afrique centrale qui ont ¨¦t¨¦ privil¨¦gi¨¦s par les investissements marocains en Afrique subsaharienne. Dans une lettre ¨¤ l'UA, le roi? expliquait que ? l'implication importante des op¨¦rateurs marocains et leur engagement fort dans les domaines de la banque, de l'assurance, du transport a¨¦rien, des t¨¦l¨¦communications et du logement sont tels que le royaume est aujourd'hui le premier investisseur en Afrique de l'Ouest ?. Il ajoute : ? Mon pays est d¨¦j¨¤ le deuxi¨¨me plus grand investisseur du continent et nous avons pour? ambition? d'¨ºtre le premier ?.

En octobre dernier, le roi s'est rendu en Afrique de l'Est et en ?thiopie alors que le Rwanda et la Tanzanie s'appr¨ºtaient? ¨¤ signer des accords commerciaux. Pour certains observateurs, les motivations de cette incursion marocaine sur le continent sont strictement ¨¦conomiques. ? Plusieurs entreprises marocaines parient sur leur croissance en Afrique subsaharienne ?, explique Brahim Fassi Fihri ¨¤?Afrique Renouveau.?

Poids politique

Mais pour d'autres analystes comme Amine Dafir, l'int¨¦r¨ºt ¨¦conomique croissant g¨¦n¨¦r¨¦ par le Maroc sur le continent permet de renforcer l'influence perdue par le pays du fait de son retrait? de l'UA.

Le Maroc ¨¦tait soutenu dans sa demande de rejoindre l'UA par un groupe de 28 pays africains, qui repr¨¦sentent plus de la moiti¨¦ des suffrages n¨¦cessaires (27) pour ¨ºtre admis au sein de l'organisation. Les pays favorables ¨¤ l'admission du Maroc avaient ¨¦crit une lettre ¨¤ l'UA demandant la suspension de l'adh¨¦sion de la RASD jusqu'¨¤ ce que les questions relatives ¨¤ la l¨¦galit¨¦ de son existence soient r¨¦solues par le Conseil de s¨¦curit¨¦ des Nations Unies. ? Notre demande s¡¯appuie sur le droit international ?,?expliquait ainsi le pr¨¦sident s¨¦n¨¦galais Macky Sall, dont le pays ¨¦tait l'un des signataires de la lettre.

Ces trois derni¨¨res ann¨¦es, le Roi du Maroc, qui voyage souvent avec un entourage d'hommes d'affaires, s'¨¦tait rendu dans plusieurs pays africains, dont la C?te d'Ivoire, le Gabon, la Guin¨¦e-Bissau, le Mali et le S¨¦n¨¦gal.

En plus d'¨ºtre d¡¯ardents d¨¦fenseurs du royaume, ces pays ¨¦taient aussi les cinq premi¨¨res destinations de l'IED marocain en Afrique subsaharienne.

Une ? victoire diplomatique issue d'une strat¨¦gie d¨¦lib¨¦r¨¦e qui privil¨¦gie l'action? ? avait pr¨¦dit Jawad, le directeur de l'Institut marocain des relations internationales, Jawad Kerdoudi, La r¨¦admission du Maroc par un vote majoritaire de 39 voix contre 54 semble en ¨ºtre la preuve.

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*Article mis ¨¤ jour

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