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Le numérique, une affaire d’innovation

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Le numérique, une affaire d’innovation

Les ingénieurs adaptent les technologies aux besoins spécifiques du continent
Eleni Mourdoukoutas
Afrique Renouveau: 
A Kenyan teacher checks his mobile phone while guarding his cattle. Photo: Panos/Sven Torfinn
Photo: Panos/Sven Torfinn
Un enseignant kenyan consulte son portable tout en gardant du bétail. Photo: Panos/Sven Torfinn

Il y a 40 ans, lorsque le monde a basculé de l’analogique vers le numérique, l’Afrique n’apparaissait pas dans le paysage.

Aujourd’hui, l’époque des postes de travail et des lignes fixes semble révolue et le continent a rattrapé son retard dans l’utilisation des téléphones portables et l’accès à Internet.

Cette révolution numérique réussie en Afrique tient principalement à la capacité d’innovation des ingénieurs qui ont su adapter la technologie aux besoins spécifiques du continent plutôt que de l’imposer.

Près de 80,8% des Africains possèdent un téléphone portable, d’après les données fournies en 2016 par l’Union internationale des télécommunications (UIT), l’agence des Nations Unies pour les technologies de l’information et de la communication, soit un bond de 10% par rapport à 2014.

Le marché des téléphones portables connaît, en Afrique, la plus forte croissance au monde et le continent devrait compter, en 2020, 725 millions d’utilisateurs, selon un rapport de l’Association GSM (Association du réseau de téléphonie mobilemondial).

La majorité des utilisateurs en Afrique n’utilise pas de smartphones. Dans sept pays – Ghana, Kenya, Nigéria, Sénégal, Afrique du sud, Tanzanie et Ouganda –seuls 15% des personnes interrogées indiquaient posséder un smartphone lors d’une enquête réalisée en 2014, par le Pew Research Center, un groupe de recherche américain. Il y a peu, beaucoup d’Africains utilisaient encore des téléphones de “seconde catégorie” aux capacités limitées. Ces téléphones ne représenteront d’ici 2019 que 27% du marché en Afrique. Le marché des smartphones ne cesse quant à lui de croître.

Un rapport publié récemment par la société de conseil technologique internationale, International Data Corporation, prédit que plus de 155 millions d’appareils seront livrés en Afrique et au Moyen-Orient d’ici la fin 2017 – après une hausse de 66% des importations au cours du premier trimestre 2017.

Les téléphones de seconde catégorie permettent les appels, l’envoi de messages, et disposent d’applications de base, qui sont généralement conçues pour répondre aux besoins spécifiques d’une communauté. M-Pesa, le système de paiement à distance très populaire au Kenya permet par exemple aux utilisateurs d’effectuer des paiements et des transferts d’argent sécurisés par SMS.

Parmi les applications innovantes, on trouve aussi Livestock Wealth, lancée en Afrique du Sud, qui permet d’acheter et de vendre des vaches à distance, ou M-Kopa, une variante de M-Pesa, utilisée au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda, pour produire de l’électricité solaire à usage domestique, et, bien sûr, recharger les téléphones.

Selon l’Association GSM, les services de téléphonie mobile représentaient 6,7% du PIB africain en 2015, notamment grâce à leur effet sur le développement économique. Les agriculteurs peuvent maintenant, par simple message, obtenir les prix de vente des produits avant de se rendre au marché, explique Ernest Acheampong, chercheur pour le Réseau africain d’étude d’orientation technologique basé à Nairobi. Selon lui, “les téléphones portables ont véritablement changé la manière de faire des affaires”.

L’accès à Internet

La capacité des téléphones portables à transformer l’Afrique s’explique principalement par la connexion à Internet qu’ils permettent et dont bénéficie aujourd’hui 29,3% du continent selon les chiffre de l’UIT.

Grace aux câbles sous-marins le long des côtes, l’accès à Internet est devenu moins onéreux et a gagné en qualité depuis 2002, date de la pose du premier cable. Les câbles sous-marins à haut debit ont permis le passage de la technologie 2G à la 3G, voire à la 4G/LTE à Addis-Abeba et Nairobi. L’Association GSM estime que d’ici à 2022, 80% du continent disposera de la 5G.

La mutiplication du nombre de téléphones portables a permis aux gouvernements de développer des services en ligne et de numériser leurs archives. Le Rwanda se targue d’être le premier pays africain à avoir mené cette numérisation. Depuis quinze ans, cette transformation a lieu dans les secteurs de l’éducation, de la santé et de l’économie, et le pays cherche désormais à ce que son secteur public soit le premier à fonctionner sans argent liquide. Les salaires des fonctionnaires sont déjà versés électroniquement.

Fin 2015, le gouvernement rwandais a mis en place Irembo, une plateforme électronique considérée par les Rwandais comme l’unique portail d’accès à une liste de 44 services gouvernementaux, dont l’enregistrement des certificats de naissance, des permis de conduire, et des demandes de passeport. Différents moyens de paiement sont disponibles.

Dans un rapport de 2014, la Banque mondiale notait que la numérisation des économies facilite la croissance économique, renforce les capacités financières individuelles et l’inclusion financière.

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Le principal obstacle auquel se heurte la numérisation en Afrique est d’ordre financier. Le prix des smartphones a beau avoir chuté en-dessous des 100$ en 2015, il demeure élevé pour les plus pauvres et le coût des abonnements est souvent prohibitif.

Les régions les plus isolées pâtissent des difficultés que peuvent susciter l’installation d’Internet en raison du délabrement des infrastructures et du manque de financement. Les investisseurs sont réticents à financer l’expansion des réseaux en zones rurales où les rendements seront moindres comparés aux zones urbaines.

Suveer Ramdhani, responsable en chef du développement chez Seacom, fournisseur d’accès à Internet pan-africain basé à l’Ile Maurice, estime que les partenariats entre secteurs public et privé sont le meilleur moyen de lutter contre ce problème, car ils obligent les entreprises privées à reproduire, dans les zones isolées, les infrastructures mises en place dans les zones urbaines.

Les téléphones et plateformes sont également devenus des outils efficaces de promotion de la démocratie lors des élections. Ils peuvent être utilisés pour communiquer rapidement, signaler les endroits où des violences peuvent éclater et donner des informations générales sur le processus electoral, une manière de favoriser la transparence. Les experts s’accordent sur le fait que ces outils sont cruciaux pour organiser efficacement des manifestations et activités politiques.

Le pouvoir de l’information n’échappe pas à certains gouvernements africains qui n’hésitent pas à couper l’accès à Internet ou à fermer certains sites web lors d’élections ou à d’autres moments sensibles. En 2016, les gouvernements du Cameroun, du Tchad, de la République démocratique du Congo, du Gabon, de la Gambie, du Congo et de l’Ouganda ont bloqué l’accès aux réseaux sociaux alors que l’Ethiopie, Madagascar ou la Tanzanie, ont fait voter des lois de censure.

Pour contourner ces blocages, des initiatives ont vu le jour tel le Tor Project, créé par une ONG, qui propose gratuitement des logiciels de communication protégée. Son application mobile, OONIProbe, détecte les blocages et permet d’avoir accès, de façon anonyme à des contenus contrôlés.

Si la révolution numérique en Afrique n’a pas encore pleinement abouti, le continent progresse. “Les perspectives sont gigantesques. Les personnes qui cherchent à innover en matière technologique suscitent beaucoup d’intérêt”, declare M. Acheampong.