Le terrorisme ¨¦clipse les conflits internes
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Le terrorisme ¨¦clipse les conflits internes
Le terrorisme est-il en train de devenir le principal type de conflit en Afrique ? Avec la r¨¦cente recrudescence des attaques terroristes sur le continent, c¡¯est une question que beaucoup se posent. Depuis janvier, une douzaine de pays africains, notamment le Burkina Faso, le Cameroun, la Libye, le Mali, le Nig¨¦ria, la C?te d¡¯ivoire et la Somalie, ont subi des attaques terroristes qui ont fait des milliers de victimes parmi la population civile. ?
Les attentats? du d¨¦but de l¡¯ann¨¦e au Burkina Faso, lors desquels 30 personnes ont ¨¦t¨¦ tu¨¦es, r¨¦v¨¨lent un nouveau mode op¨¦ratoire des assaillants. Apparemment d¨¦pourvus d¡¯une base ou d¡¯un r¨¦seau de soutien au niveau local de m¨ºme que d¡¯objectifs strat¨¦giques clairs, ils sont venus d¡¯ailleurs et ont vis¨¦ des sites touristiques sans liens connus avec le gouvernement ou l¡¯arm¨¦e. ? ?
Les groupes responsables de ces attaques sont embryonnaires : leur seule caract¨¦ristique d¨¦terminable est qu¡¯ils affichent des tendances ¨¤ l¡¯islamisme radical. Ils ne respectent ni les fronti¨¨res politiques, ni les fronti¨¨res g¨¦ographiques ?et sauf peut-¨ºtre en ce qui concerne les milices chabab? en Somalie, ils n¡¯expriment pas de buts politiques clairs pour le pays.? De quelle origine sociale provient ce militantisme meurtrier ? Et que fait l¡¯Afrique pour le combattre ??
La principale menace s¨¦curitaire
Dans les ann¨¦es 90, les attaques terroristes en Afrique ¨¦taient plus ou moins ¨¦pisodiques, essentiellement li¨¦es ¨¤ des contextes nationaux relativement bien d¨¦finis (en Alg¨¦rie, au Lib¨¦ria, en Sierra Leone et en Ouganda par exemple). Mais aujourd¡¯hui, l¡¯apparition de groupes tels que Boko Haram au Nig¨¦ria (avec ses ramifications r¨¦gionales) et la propagation des attaques des Chabab somaliens au Kenya et en Ouganda font du terrorisme une menace s¨¦curitaire de premi¨¨re importance pour l¡¯Afrique. ? ? ?
Selon des recherches men¨¦es par l¡¯expert en analyse s¨¦curitaire Jakkie Cilliers, directeur de l¡¯Institut des ¨¦tudes de s¨¦curit¨¦, pr¨¨s de 37% des 39 286 d¨¦c¨¨s caus¨¦s par des violences en Afrique au cours de l¡¯ann¨¦e 2014 se sont produits? au Nig¨¦ria, en raison principalement des attaques de Boko Haram. Le pourcentage de personnes tu¨¦es lors d¡¯attaques chabab? en Somalie est presque aussi ¨¦lev¨¦.
En 2014 par exemple, Boko Haram a tu¨¦ 6 664 personnes ¨C pour la plupart des civils ¨C au Nig¨¦ria, au Cameroun et au Tchad, sans compter les enl¨¨vements de centaines de personnes comme ceux des 250 lyc¨¦ennes de Chibok il y a un peu plus d¡¯un an. C¡¯est plus que les 6 073 morts caus¨¦es par? l¡¯Etat islamique? en Irak et en Syrie (EIIS).?
Au total, Boko Haram a tu¨¦ plus de 15 000 personnes et forc¨¦ plus de 2,1 millions de Nig¨¦rians ¨¤ partir de chez eux depuis son apparition il y a quelques ann¨¦es. L¡¯¨¦tude de M. Cilliers montre qu¡¯en raison des activit¨¦s terroristes, le nombre d¡¯affrontements arm¨¦s en Afrique est pass¨¦ de 40% du total mondial en 2013 ¨¤ 52% en 2014. Ceci en d¨¦pit du fait que l¡¯Afrique compte ¨¤ peine 16% de la population mondiale. ? ?
Plusieurs groupes terroristes affili¨¦s ¨¤ Al-Qaeda ou sous son influence s¨¦vissent sur le continent. Ils op¨¨rent au sein de la vaste r¨¦gion du Sahel, en Libye, en Tunisie et en Alg¨¦rie ainsi qu¡¯au Nig¨¦ria, au Cameroun, au Tchad, en Somalie, au Mali et au Kenya.? ?
Les attaques meurtri¨¨res contre l¡¯H?tel Radisson Blu dans la capitale malienne Bamako le 20 novembre 2015, qui ont fait 22 morts y compris deux des assaillants, et l¡¯attaque ¨¦trangement similaire contre l¡¯H?tel Splendid de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, le 15 janvier 2016, qui en a fait 30, ont ¨¦t¨¦ revendiqu¨¦es par Al-Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI). ?
La riposte des arm¨¦es?
Le Nig¨¦ria a d¨¦pens¨¦ des milliards de dollars et mobilis¨¦ des dizaines de milliers? de soldats pour lutter contre Boko Haram, tout comme l¡¯ont fait d¡¯autres pays africains en s¡¯appuyant sur une aide ¨¦trang¨¨re cons¨¦quente. Ces efforts ont ¨¦mouss¨¦ le pouvoir des groupes terroristes. Depuis l¡¯¨¦lection du Pr¨¦sident Muhammadu Buhari au Nig¨¦ria en mars 2015, Boko Haram semble avoir ¨¦t¨¦ chass¨¦ de larges pans du territoire qu¡¯il occupait auparavant ¨C mais ses membres demeurent actifs au Nig¨¦ria et dans les pays limitrophes.? ?
En Afrique de l¡¯Est,? les puissantes arm¨¦es ¨¦thiopienne, k¨¦nyane et ougandaise doivent affronter les Chabab? en Somalie et au Kenya. La pr¨¦sence de troupes r¨¦gionales op¨¦rant dans le cadre de la Mission? de l¡¯Union africaine en Somalie (AMISOM) a emp¨ºch¨¦ les Chabab? de prendre le contr?le du pays. A l¡¯exception de l¡¯attentat ¨¤ la bombe rat¨¦ contre le vol de la compagnie Daallo Airlines au d¨¦part de Mogadiscio en d¨¦but d¡¯ann¨¦e, le groupe n¡¯a pas pu mener r¨¦cemment de vraies attaques contre les pays voisins de la Somalie. ?
Qui sont les terroristes ??
Au sein de l¡¯Union africaine, la d¨¦finition d¡¯un groupe terroriste continue ¨¤? faire l¡¯objet de vifs d¨¦bats. Les pays d¡¯Afrique de l¡¯Ouest et d¡¯Afrique de l¡¯Est qui sont directement touch¨¦s par de telles attaques ont plus facilement tendance ¨¤ qualifier de terroristes les groupes de militants. Les pays d¡¯Afrique australe, dont les luttes pour se lib¨¦rer de la domination blanche ont ¨¦t¨¦ ¨¤ l¡¯¨¦poque qualifi¨¦es de terroristes, se montrent plus m¨¦fiants vis ¨¤ vis du terme. Apr¨¨s tout, avancent-ils, m¨ºme Nelson Mandela fut un jour consid¨¦r¨¦ par les principales puissances occidentales comme un terroriste. Par cons¨¦quent, l¡¯Union africaine a adopt¨¦ une d¨¦finition relativement alambiqu¨¦e du terrorisme dans laquelle elle se contente d¡¯y faire allusion. Les luttes arm¨¦es men¨¦es par les peuples en conformit¨¦ avec ? les principes du droit international, pour la lib¨¦ration ou leur auto-d¨¦termination, y compris la lutte arm¨¦e contre le colonialisme, l¡¯occupation, l¡¯agression et la domination par des forces ¨¦trang¨¨res?, ne sont pas consid¨¦r¨¦es comme des actes terroristes? ¨¦tablit-elle. La difficult¨¦ consiste d¨¨s lors ¨¤ d¨¦terminer les causes, les facteurs et le d¨¦roulement de chaque action violente ou de chaque manifestation extr¨ºmiste. ?
Certains actes de terrorisme sont dus, d¡¯apr¨¨s certains experts, ¨¤ des probl¨¨mes qui n¡¯ont pas ¨¦t¨¦ r¨¦solus ¨¤ l¡¯¨¦chelle locale. Si une majorit¨¦ d¡¯attaques sont jug¨¦es terroristes, leurs auteurs sont-ils par cons¨¦quent des groupes terroristes en vertu de la d¨¦finition opaque donn¨¦e par l¡¯Union africaine ??Ces experts estiment qu¡¯il pourrait ¨ºtre plus judicieux d¡¯identifier le contexte social particulier dont est issu chaque groupe ¨C?ce dont il se nourrit et ce qui fait qu¡¯il pers¨¦v¨¨re? en d¨¦pit des puissantes forces engag¨¦es contre lui.?
Boko Haram ¨¦tait au d¨¦part un mouvement de r¨¦bellion local dans le nord du Nig¨¦ria et il le resta pendant de nombreuses ann¨¦es. Il a ¨¦t¨¦ nourri par un ressentiment largement partag¨¦ au sein de la population ¨¤ l¡¯encontre des retards ¨¦conomiques et sociaux dont p?tit la moiti¨¦ nord du Nig¨¦ria et de la n¨¦gligence du gouverment vis-¨¤-vis de cette r¨¦gion tr¨¨s pauvre. L¡¯¨¦lection de M. Buhari, originaire du nord, a affaibli l¡¯attrait du groupe, ce qui explique en partie son recul territorial. ?
Contre-attaques
La r¨¦organisation r¨¦cente de la Force multinationale mixte (FMM)? d¨¦cid¨¦e par le Nig¨¦ria, le Cameroun, le Niger, le Tchad et le B¨¦nin pour lutter plus efficacement contre Boko Haram a suscit¨¦ d¡¯immenses espoirs en Afrique de l¡¯Ouest. La Force a ¨¦t¨¦ cr¨¦¨¦e en 1994 par le gouvernement du Nig¨¦ria pour ? mettre en ¨¦chec le banditisme et faciliter la libre circulation? le long de sa fronti¨¨re nord.? Mais en janvier 2015, la force a connu un premier recul lorsque les combattants de Boko Haram ont pris d¡¯assaut son quartier g¨¦n¨¦ral ¨¤ Baga au Nig¨¦ria, apr¨¨s quoi celui-ci a ¨¦t¨¦ transf¨¦r¨¦ ¨¤ N¡¯Djamena au Tchad, et le nombre de ses troupes augment¨¦.?
Sous l¡¯¨¦gide de la Commission du bassin du lac Tchad, un nouveau concept d¡¯op¨¦ration a ¨¦t¨¦ r¨¦cemment adopt¨¦. En octobre 2015, les ?tats-Unis ont d¨¦ploy¨¦ 300 membres des Forces sp¨¦ciales au Cameroun en appui ¨¤ la FMM? afin d¡¯aider ¨¤ la surveillance de Boko Haram. Selon certaines informations il se pourrait que le pr¨¦sident Barack Obama envisage d¡¯accro?tre les activit¨¦s anti-insurrectionnelles contre? l¡¯Etat islamique en Libye.? ? ?
Pour sa part, le Conseil de s¨¦curit¨¦ de l¡¯ONU a renouvel¨¦ son soutien ¨¤ l¡¯AMISOM ainsi qu¡¯¨¤ la Mission multidimensionnelle int¨¦gr¨¦e des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) ¨C toutes deux charg¨¦es de combattre les activit¨¦s des groupes arm¨¦s. Les attaques de ces groupes, y compris contre les casques bleus, n¡¯ont pas cess¨¦ dans les deux pays.?
La r¨¦solution 2232 du Conseil de s¨¦curit¨¦, adopt¨¦e en juillet 2015, demande ¨¤ l¡¯Union africaine de proc¨¦der ¨¤ ? une reconfiguration structur¨¦e et cibl¨¦e de l¡¯AMISOM afin d¡¯accro?tre son efficacit¨¦, en particulier en renfor?ant ses structures de commandement et de contr?le, et en am¨¦liorant les op¨¦rations intersectorielles.? ?
En d¨¦pit de tout ceci, le rapport publi¨¦ par l¡¯ONU le 12 novembre 2015 sur la Strat¨¦gie int¨¦gr¨¦e des Nations Unies pour le Sahel dresse un triste bilan de la situation, indiquant que ? les groupes terroristes ont multipli¨¦ les attaques asym¨¦triques dans le nord et ¨¦tendu leur champ d¡¯action vers le sud en menant des assauts dans le centre du pays, y compris ¨¤ Bamako, et ¨¤ la fronti¨¨re avec le Burkina Faso et la Mauritanie, ainsi que dans le sud de la r¨¦gion frontali¨¨re de la C?te d¡¯Ivoire.? En d¨¦pit d¡¯un accroissement des activit¨¦s terroristes, nombreux sont ceux qui estiment? que l¡¯Afrique doit se r¨¦jouir de la fin de plusieurs guerres importantes ¨C en Angola, en C?te d¡¯Ivoire, au Lib¨¦ria et en Sierra Leone. Les efforts d¨¦ploy¨¦s, avec l¡¯appui international, par les gouvernements africains et leur arm¨¦e pour mettre en ¨¦chec le terrorisme ne doivent pas faire perdre de vue l¡¯importance d¡¯avoir mis fin ¨¤ de nombreuses? guerres.?